Article paru dans La Nef, n° 299, janvier 2018

 

 Plusieurs livres parus cet automne abordent courageusement un sujet tabou : l’état désastreux de l’enseignement public en France. Parmi les symptômes de cette décadence on retiendra l’effondrement du niveau, la dévaluation du baccalauréat, l’indiscipline, les incivilités, les violences, l’immaturité des élèves et le communautarisme islamique. Très inquiétant, ce dernier mérite que l’on s’y attarde car il met particulièrement en lumière l’échec de la laïcité imposée à l’école.

Sous le titre Principal de collège ou imam de la République ?, Bernard Ravet (1), qui a été pendant quinze ans (2000-2015) principal de trois collèges situés dans des quartiers populaires de Marseille, où résident une majorité de Maghrébins et de Comoriens, décrit l’emprise croissante de l’islam sur les élèves fréquentant les établissements classés en Zone d’éducation prioritaire (ZEP). A ses débuts, B. Ravet fut confronté à maintes formes de violences (incendie du gymnase avec tentative d’homicide contre sa personne, agressions contre les enseignantes sur le chemin du métro, exercice du « droit de cuissage » sur une élève devenue mère, donc coupable d’impureté, bagarres au couteau, etc.) sans coloration confessionnelle revendiquée. Ce qui en soi en dit déjà long sur l’ambiance prévalant dans de telles écoles publiques. Mais, peu à peu, le principal buta « contre un adversaire d’une nature tout autre : Dieu », celui du Coran, on l’aura compris.

  Des vendeurs de drogue – pratique habituelle dans le quartier – venus se plaindre de la gêne occasionnée dans leur commerce illicite par les agents de la Brigade anti-criminalité déployés aux abords du collège pour en assurer la sécurité, lui avouèrent ne proposer leurs produits toxiques qu’à des non-musulmans car tuer des « mécréants » relève du djihad. C’est donc licite. Plus banalement, Bernard Ravet eut aussi à gérer l’observance du jeûne du Ramadan (respecté à 95 % en 2013), les insultes sexistes des garçons envers les filles, les tentatives d’enfreindre l’interdiction du port du voile islamique, la contestation de certains enseignements (histoire, littérature, sciences), l’hostilité envers les juifs. Il refusa même l’inscription d’un enfant juif, sachant qu’il ne pourrait le protéger !

Puis arriva l’affaire du « petit livre ».

Distribuée à des élèves du collège par un surveillant musulman, Abdel, au demeurant exemplaire dans son travail, cette brochure contient une condamnation sans appel des adeptes d’autres religions et de tout ce qui contredit le dogme et la charia islamiques, y compris les peines physiques. Alerté par le principal, le rectorat affirma ne rien pouvoir faire car ce surveillant était titulaire d’un contrat de travail régulier.

C’est par les Renseignements généraux que B. Ravet découvrira l’origine de la brochure : éditée en Arabie-Séoudite, elle est diffusée illégalement en France. Abdel se l’était procurée dans la mosquée qu’il fréquentait, relevant du Tabligh, mouvement piétiste dont l’objectif est de « réislamiser le peuple ». « Leur vrai truc, lui expliqua l’officier de police, c’est de harponner les familles par le truchement de l’aide aux devoirs », mission justement confiée à Abdel, membre d’une association musulmane, El-Nour (« La Lumière »), subventionnée par les pouvoirs publics.

Désemparé, le fonctionnaire de l’enseignement se souvint alors que la plupart de ces dérives étaient décrites dans le rapport que l’inspecteur Jean-Pierre Obin avait rédigé en 2004 à la demande du gouvernement qui l’avait prestement enterré, sans doute sous la pression de médias prompts à accuser son auteur d’« islamophobie ».

Je commence à comprendre que nous avons été, collectivement, victimes d’une combinaison délétère de cécité et d’impuissance. Cécité face à la montée de ces phénomènes. Elle fut brutale mais cela n’y change rien : pour la plupart, nous n’avons rien vu venir, peu instruits de ce qu’est l’islam et encore moins de ce que sont les mouvements islamistes. Nous nous sommes réveillés un jour pour constater que le mal était fait ».

Ravet met aussi l’accent sur le cloisonnement des institutions et l’impuissance qui en résulte, ainsi que sur la complicité des élus prêts à tout par clientélisme.

Nous déchantons quand nous découvrons que le maire de Marseille a inauguré une nouvelle mosquée d’obédiencetabligh […]. Le surlendemain, nous nous effondrons quand l’Etat accepte de mettre sous contrat un collège-lycée privé musulman qui avait été créé dans le seul but de permettre aux familles de contourner la loi sur le port de signes religieux en acceptant des élèves voilées. Et quand nous voyons une sénatrice socialiste, Samia Ghali, participer à la cérémonie de la pose de la première pierre de l’établissement, aux côtés du président de la sulfureuse Union des Organisations islamiques de France (2), des ambassadeurs de Qatar et du Koweït, visiblement financeurs du projet ».

C’est un bilan identique que dresse Anne-Sophie Nogaret, professeur de philosophie dans le secondaire.

Dans Du Mammouth au Titanic (3), elle raconte en détails les pressions subies par ses supérieurs pour l’obliger à suivre la règle selon laquelle « le contenu d’une copie n’intervient pas dans sa notation ».

Il s’agit de sur-noter les élèves des ZEP sous prétexte de racheter leur déclassement social ou culturel supposé, et ceci au mépris des enfants d’immigrés « qui se tiennent bien, travaillent et respectent leurs profs ».

L‘enseignante dresse ce constat :

Un élève issu de l’immigration postcoloniale est par essence une victime à vie […]. Il est à ce titre sacré. Quant aux attitudes d’exclusion et d’intolérance forcenée qu’ils manifestent parfois et dont il reste difficile de nier l’existence concrète, elles ne seraient que le contrecoup somme toute compréhensible des souffrances du colonisé. En conclusion de quoi nous sommes responsables du racisme de certains de nos élèves qui, eux, ne sont responsables de rien, ni de ce qu’ils font, ni de ce qu’ils disent, dédouanés d’emblée en raison de leur origine ethnique ».

 

Par ailleurs, qu’un attentat survienne et des cours où il devait être question de religion sont censurés car il s’agit « de ne pas jeter de l’huile sur le feu » et de « ne pas froisser les susceptibilités musulmanes pour préserver une fallacieuse paix sociale ». En fait, il ne faut jamais parler « d’une réalité culturelle et sociale qui s’impose par la violence ».

Nos deux auteurs, troublés par la complaisance de l’Etat envers le religieux (islamique), affirment leur attachement à la laïcité, aux droits de l’homme et aux « valeurs de la République », principes contestés par un nombre croissant de jeunes musulmans pour lesquels seule la Loi d’Allah est légitime. Ce faisant, ils occultent une vérité fondamentale, que rappelle fort justement Virginie Subias Konofal dans sa remarquable Histoire incorrecte de l’école (4), où cette agrégée de lettres classiques retrace le rôle pionnier de l’Eglise tout en dévoilant « l’imposture » de la pédagogie républicaine, notamment le projet centralisateur, techniciste, laïciste et anti-chrétien qui inspira les lois Ferry de 1882-1883 prétendant instaurer l’égalité et la gratuité de l’enseignement.

Il est absurde, ou inconscient, de nier l’influence de la foi religieuse sur la vision de l’homme etdu monde qui sera véhiculée par les enseignants […]. Penser que rien de tout cela ne transparaît dans l’enseignement et que l’on enferme sa foi, ou son idéologie, dans le secret de son for intérieur sans que rien n’en transparaisse qu’une froide et robotique neutralité est d’une grave naïveté, car c’est oublier que l’humain est humain et par là même irréductiblement soumis à sa subjectivité. Autant savoir aussi clairement que possible sur quels piliers celle-ci s’est échafaudée »

Subias Konofal est rejointe dans sa démonstration par Rémi Fontaine qui, dans un essai vigoureux, Rendez-nous l’école ! (5), explique comment l’école publique, pétrie d’idéologie laïciste, fabrique des cerveaux hermétiques au surnaturel en les orientant, sous couvert de neutralité, vers le relativisme en matière de droit naturel.

Déplorant la soumission de l’Eglise de France à l’Etat, en contradiction avec l’encyclique de Pie XI, Divini illius magistri (1929), qui considère « injuste et illicite tout monopole » étatique en ce domaine, notamment quant au contenu des programmes, cet auteur rappelle que la Puissance publique doit être « garante » et non « gérante » du bien commun, en l’occurrence de l’instruction.

Et si R. Fontaine admet que le développement d’écoles musulmanes peut contribuer à transmettre des idées nuisibles à l’ordre public, il considère aussi que l’Etat sera dans son rôle pour interdire les établissements contrevenants. « Sachons avoir foi en la liberté, et la revendiquer ! », conclut Virginie Subias Konofal.

 

Annie Laurent

  • Kero, 236 p., 16, 90 €.
  • Branche française des Frères musulmans.
  • L’Artilleur, 325 p., 18 €.
  • du Rocher, 166 p., 12, 90 €.
  • L’Homme nouveau, 93 €, 7, 50 €.