Article paru dans L’Homme nouveau n° 1657 du 17 février 2018

  Par le décret de béatification rendu public le 27 janvier, l’Eglise reconnaît le martyre de l’ancien évêque d’Oran, Mgr Pierre Claverie, et de 18 religieuses et religieux du diocèse d’Alger, au nombre desquels furent les sept moines de Tibhirine assassinés en 1996.

            Retour sur l’assassinat des sept moines, dont les motifs réels demeurent toujours inconnus.

 

L’annonce de la prochaine béatification des sept moines trappistes enlevés puis assassinés en Algérie en 1996 n’éclaire pas l’énigme de leur mort. En effet, les circonstances précises et les responsabilités de ces assassinats demeurent à ce jour dans l’ombre, du moins pour ce qui est de l’épilogue du drame. Celui-ci a démarré dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 lorsqu’une vingtaine d’hommes armés ont contraint le gardien musulman du monastère Notre-Dame de l’Atlas où vivait la communauté, de les laisser entrer. Les visiteurs prétextaient avoir besoin des soins du Frère Luc, le médecin dévoué à tous dans l’obéissance à son supérieur, le Père Christian de Chergé, qui ne voulait pas faire de différence entre les musulmans du voisinage, avec lesquels les religieux entretenaient des rapports familiers, et « les gens de la montagne » comme ils appelaient les rebelles en guerre contre le régime. Situé à une centaine de kms au sud d’Alger, le massif de l’Atlas, creusé de nombreuses grottes, constituait un maquis rêvé pour ces djihadistes. Sur les neuf moines présents, sept ont été emmenés dans un endroit non identifié. La préméditation ne fait aucun doute puisqu’en quittant le prieuré au petit matin, sous escorte de l’armée algérienne, arrivée trop tard, les deux rescapés du rapt ont pu constater que leur câble téléphonique avait été sectionné, ce qui les avait empêché d’appeler au secours.

Les têtes des victimes ont été retrouvées le 30 mai suivant près de Médéa, ville voisine du prieuré, enveloppées dans des sacs suspendus à un chêne. Une semaine avant, un communiqué avait revendiqué ces meurtres. Il était signé par Djamel Zitouni, au nom du Groupe islamique armé (GIA), mouvement islamiste dissident du Front islamique du salut (FIS), lui-même déclaré hors-la-loi après sa victoire aux élections législatives de 1992 dont les résultats avaient été annulés par le président Chadli Benjedid sous la pression de l’armée qui força aussi le chef de l’Etat à démissionner. Son successeur, Liamine Zeroual (élu en 1995), se lança alors dans une lutte déterminée contre une idéologie islamiste que les dirigeants antérieurs avaient favorisée en ouvrant la porte du pays aux influences de cadres venus du Proche-Orient. Le communiqué de Zitouni se référait à une cassette audio diffusée par le GIA le 30 avril. Les otages y indiquaient qu’ils seraient égorgés si les autorités françaises n’obtenaient pas la libération d’islamistes emprisonnés en Algérie. Cette référence semblait authentifier la revendication.

Zitouni succédait à Sayeh Attia (tué par l’armée), celui-là même qui avait fait irruption à N.-D. de l’Atlas en 1993, durant la nuit de Noël, déjà pour emmener le Frère Luc dans la zone montagneuse afin de soigner des djihadistes blessés. Le P. de Chergé avait refusé, consentant cependant à ce qu’à l’avenir les combattants soient discrètement accueillis avec les malades qui venaient chaque jour consulter le moine-médecin. « Depuis cette soirée, les moines savaient que les terroristes allaient revenir », confiera par la suite à un journaliste de l’hebdomadaire Jeune Afrique le Père Jean-Pierre Schumacher, l’un des deux survivants (1).

Les moines n’ignoraient donc rien des menaces qui pesaient sur eux. En 1992, le GIA avait d’ailleurs ordonné à tous les étrangers de quitter le pays. Puis, plusieurs attentats ayant visé des Français, religieux ou coopérants, le ministère des Affaires étrangères demanda à ses ressortissants de ne pas demeurer sur place. Pour les moines, cet appel fut relayé de Rome en 1994 par dom Bernardo Oliveira, abbé général des trappistes. « L’Ordre a plus besoin de moines que de martyrs », dit-il au P. de Chergé qui lui répondit : « Les deux ne sont pas incompatibles » (2). Le prieur fut convoqué à la préfecture de Médéa où on lui signifia que la sécurité du monastère ne pouvant plus être assurée, ses occupants devaient s’en aller. En 1995, les Sœurs clarisses de Bologhine, sur les hauteurs d’Alger, s’étaient quant à elles résolues à regagner la France quand le danger se fit trop pressant. Mais, les trappistes, solidaires de leur prieur résolu à demeurer sur place, n’ont pas voulu les imiter, invoquant la fidélité à leur vocation en contexte musulman, et ceci au risque d’un martyre lucidement accepté bien que non souhaité, comme l’a écrit le P. de Chergé dans la lettre-testament adressée à ses proches le 1er décembre 1993.

Quant à l’enquête, ouverte seulement en 2003, elle n’a pour l’instant abouti à aucune conclusion officielle, mais le peu d’empressement des autorités algériennes à coopérer avec la justice française laisse soupçonner qu’un mobile politique serait à l’origine de la tragédie : l’instrumentalisation d’islamistes par les services de l’Etat algérien pour d’obscures raisons non identifiées. Faudrait-il pour autant attribuer ces meurtres à une « défiguration de l’islam », comme le fait le texte publié par les quatre évêques d’Algérie le 27 janvier 2018 ?

 

Annie Laurent

 

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  • 19-25 juin 2016.
  • Cité par Christophe Henning, Moines de Tibhirine, Artège, 2017, p. 49.