CHRETIENS ET MUSULMANS PEUVENT-ILS PARTAGER LES MEMES LIEUX DE CULTE ?
Il arrive de plus en plus souvent que les directions d’établissements publics (hôpitaux, casernes, prisons) demandent aux responsables religieux de partager un seul et même local destiné alternativement aux prières et célébrations liturgiques de toutes les religions. Les musulmans n’y voient aucun inconvénient. Mais les catholiques peuvent-ils accepter ces situations ? Quelques éléments de réponse.
LES PRINCIPES
La loi de 1905, fondatrice de la laïcité française, ne reconnaît aucune religion. Toutefois, la République entérine et légitime l’existence de plusieurs cultes (catholique, orthodoxe, protestant, israélite et musulman) dont elle garantit le libre exercice dans certains établissements publics. Pour permettre l’exercice de cette liberté, et dans la mesure du possible, elle doit en fournir les moyens à chaque culte : un aumônier appointé, un bureau d’accueil, un lieu de prière ou de célébration.
C’est pourquoi les impératifs budgétaires, généralement invoqués pour justifier les salles « multicultes », ne sont pas recevables. Un aumônier catholique ne peut se voir imposer de partager avec ses homologues juifs ou musulmans les espaces qui lui sont affectés, que ce soit pour l’accueil ou pour le culte lui-même. En fonction des besoins, il peut, en revanche, s’entendre avec ses homologues chrétiens (orthodoxes et protestants), au cas par cas, pour partager une même chapelle ou un même oratoire. Mais ce ne doit pas être la norme.
L’UNICITE DU CULTE CATHOLIQUE
L’Eglise catholique revendique le privilège d’unicité (c’est-à-dire d’un caractère unique) pour son propre culte. Cette revendication est à l’origine de la reconnaissance par la loi de chaque culte en lui-même et pour lui-même, ce qui constitue une spécificité française. Il faut donc y tenir, malgré les contraintes budgétaires, et malgré l’exemple contraire des pays anglo-saxons qui, étant de tradition protestante, envisagent spontanément et sans réticence l’intercultuel, voire l’interreligieux.
En réalité, et en France en tout cas, une chapelle ne peut pas servir à d’autres cultes, dans la mesure où elle est un lieu consacré ainsi que l’autel où se célèbre la messe et où peuvent être conservées les hosties consacrées, dans le tabernacle. Seuls les actes du culte catholique (et éventuellement du culte orthodoxe) peuvent s’y dérouler et être accomplis par les ministres consacrés à cette fin. Ce principe général vaut pour toutes les églises affectées au culte. C’est pourquoi, lorsqu’elles sont propriétés de l’Etat (il s’agit de celles construites avant 1905), elles ne peuvent pas être utilisées à d’autres fins.
NECESSITE DE MAINTENIR LES PRINCIPES
Plusieurs raisons, relevant de la foi et de la prudence, conduisent à cette impossibilité de prêter une chapelle pour d’autres pratiques que celles du culte catholique :
- La protection des chrétiens contre tout risque de confusion, de relativisme ou d’indifférentisme religieux. Ceci est encore plus nécessaire à notre époque où beaucoup de catholiques ont tendance à considérer que toutes les religions ont une valeur égale.
- La préservation du risque de demandes inacceptables, telles que le retrait du crucifix, de statues ou d’images sacrées par des musulmans ou des juifs.
- Du point de vue du culte islamique, toute prière en un lieu, fût-il catholique, entraîne en quelque sorte la prise de possession de ce lieu qui devient dès lors « terre d’islam », sans retour possible en arrière. En outre, ce culte, dépourvu de liturgie et de dimension sacramentelle, n’a pas les mêmes impératifs que les cultes chrétiens pour la prière individuelle et communautaire : il peut se pratiquer dans une pièce ordinaire dotée de commodités pour les ablutions rituelles.
- La préservation de l’extension, voire de la généralisation de cette pratique : Ouvrir une chapelle au culte musulman dans l’enceinte d’un établissement public risque de créer un précédent susceptible d’être institutionnalisé par les autorités de l’établissement concerné et étendu par l’Etat à tous les autres établissements.
DU BON USAGE DU RESPECT DE LA LIBERTE RELIGIEUSE
Au-delà du respect des pouvoirs publics envers chaque culte, et du respect mutuel des cultes les uns par rapport aux autres, il est important de ne pas céder à une mentalité qui voudrait faire primer l’impératif budgétaire et financier sur toute autre considération.
Au contraire, la revendication nécessaire de l’unicité de leur culte par les catholiques peut aider tout le monde à prendre conscience que la liberté religieuse est la source et le sommet de toutes les libertés : il n’est pas choquant d’y mettre le prix car, en réalité, elle n’a pas de prix.
Annie Laurent