GÉOPOLITIQUE D’UNE CHRÉTIENTÉ

Titulaire de deux doctorats, l’un de philosophie, l’autre de théologie, obtenus dans les universités de Paris et de Strasbourg, Antoine Fleyfel vient de publier Géopolitique des chrétiens d’Orient (1) dont la lecture est vivement recommandable.

L’auteur, franco-libanais, commence par s’interroger sur le bien-fondé de la formule globale « chrétiens d’Orient » appliquée à ces disciples du Christ dont les identités ethniques, religieuses et nationales sont multiples.

Cette désignation ne manque pas d’ambiguïté non plus si l’on tient compte du fait que l’Orient chrétien s’étend bien au-delà des frontières du Levant, à l’est et au nord (on pense, entre autres, à l’Inde et aux pays slaves).

Fleyfel choisit finalement de conserver l’appellation classique en limitant toutefois son étude aux chrétiens du monde arabe, répartis sur six territoires (Liban, Jordanie, Irak, Terre sainte, Egypte et Syrie). Avec clarté, il présente la position de ces communautés dans chacun de ces pays à l’époque moderne, expliquant leurs évolutions politiques à travers leur rapport à l’arabité (alors que beaucoup d’entre elles ne sont pas de souche arabe mais ont été arabisées à partir de la conquête musulmane) et leurs relations avec l’Islam contemporain, tout ceci sur le fond des bouleversements surgis ces dernières décennies au Proche-Orient (création d’Israël, guerres d’Irak, terrorisme, révoltes arabes, etc.).

 

Dans la liste des pays retenus, le Liban occupe la première place en raison du statut privilégié dont disposent ses citoyens chrétiens comparé à ceux du voisinage. L’auteur s’attarde sur les événements douloureux survenus au pays du Cèdre depuis 1975 et sur leurs conséquences dommageables pour les chrétiens. A cet égard, il faut lui savoir gré de montrer en quoi l’expression « guerre civile » trop souvent retenue en Occident pour qualifier ce conflit est erronée. A cause de sa fragilité congénitale, le Liban attire toutes sortes d’ingérences étrangères ; il est le réceptacle de tous les antagonismes régionaux, voire internationaux. Déprimés, frustrés, et surtout divisés, les chrétiens ont perdu beaucoup de leur influence politique mais, souligne l’auteur, ils manifestent une vitalité stimulante au niveau ecclésial et culturel.

 

En Jordanie, la bienveillance de la monarchie hachémite envers les Eglises suffit-elle à rendre leurs fidèles heureux ? Les chrétiens d’Irak et de Syrie pourront-ils survivre au chaos actuel ? Ceux d’Egypte obtiendront-ils enfin d’être pleinement respectés ? Comment les baptisés peuvent-ils survivre en Terre sainte ? Partout, l’islamisme croissant pèse lourd sur l’avenir. Face à de tels défis, Antoine Fleyfel souhaite pourtant que les chrétiens arabes résistent à la tentation du repli identitaire au profit du combat pour faire triompher les valeurs qui leur sont chères. D’après lui, c’est pour eux le seul moyen de servir la cause de ce monde arabe dont ils ont intérêt à se sentir solidaires.

 

Annie Laurent

 Article paru dans L’Homme nouveau n° 1559 du 1er février 2014