Hela Ouardi, Les derniers jours de Muhammad, Albin Michel, 2016, 368 p., 19, 50 €.
On croyait tout savoir sur la vie de Mahomet (Muhammad est la graphie anglaise) et sur sa succession. Or, voici un ouvrage qui ouvre de nouveaux horizons sur la connaissance de cette période décisive des débuts de l’islam. C’est pourquoi il mérite la plus grande attention et ce d’autant plus que son auteur est une Tunisienne.
Membre de l’université El-Manar de Tunis, Hela Ouardi s’est lancée dans une recherche audacieuse qu’aucun musulman n’avait jusqu’à présent osé entreprendre, sans doute par crainte d’être accusé de blasphème. L’enquête répond donc au désir de l’auteur de rendre Mahomet à sa véritable historicité, loin des ombres qui entourent son personnage, ses épouses et ses compagnons.
Soumettre au feu de l’analyse critique les sources classiques de la tradition islamique, tant sunnites que chiites, a permis à Hela Ouardi, de mettre à nu les contradictions, les approximations et les invraisemblances de ces textes. « Chaque événement de la vie de Muhammad, chacun de ses traits de caractère se trouve comme dissous dans un foisonnement spectaculaire de versions divergentes, voire antagoniques, véritable nébuleuse où la variation kaléidoscopique des récits donne souvent le tournis », reconnaît-elle. La mention de son nom n’apparaît qu’en 738-739 alors qu’il est censé être mort en 632 !
Ce qui frappe le plus dans ce livre passionnant et fort bien écrit, c’est l’omniprésence de la violence, sur fond d’intrigues et de rivalités dans l’entourage de Mahomet : tentatives d’assassinat, manœuvres pour la succession (on veut même l’empêcher de rédiger son testament), confusion sur la réalité de son décès, abandon de sa dépouille mortelle pendant trois jours, etc. En outre, à Médine, les musulmans, influencés par des sectes judéo-chrétiennes, croyaient que la mort de leur prophète annonçait la fin du monde et le Jugement dernier. H. Ouardi s’interroge enfin sur « le lien de parenté » entre Mahomet et l’islam dont les véritables fondateurs pourraient être les deux premiers califes, Abou Bakr et Omar.
A la religion de la fin des temps, ces derniers ont ainsi donné une dimension universelle et lui ont assuré un avenir.
Annie Laurent
Article paru dans La Nef, n° 283, juillet-août 2016