Voir aussi ICI « Le mariage vu par l’islam »

La progression de l’Islam en Europe favorise des mariages de plus en plus nombreux entre musulmans et chrétiens. Ces unions placent la société française et l’Eglise face à une réalité nouvelle qui suscite des attitudes diverses. Certains pensent que de tels mariages sont naturellement dans l’ordre des choses de notre époque mondialisée ; beaucoup considèrent qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur un sujet qui regarde la sphère privée de l’existence ; d’autres encore y voient un moyen privilégié pour le dialogue interreligieux entre chrétiens et musulmans ; d’autres enfin y sont hostiles avec plus ou moins de force ou de conviction.

Les implications juridiques et humaines de ces mariages sont souvent méconnues, ce qui peut entraîner des malentendus et des drames. Ces situations montrent que de telles unions ne sont pas toujours – loin s’en faut – d’authentiques chemins de bonheur. C’est pourquoi ce sujet ne peut pas être pris à la légère et mérite une réflexion lucide et approfondie. Vous en trouverez les principaux éléments dans la suite de trois Petites Feuilles vertes ci-jointes.

 

PFV N° 23

Première partie

Il convient d’abord de distinguer les lieux du mariage et de la résidence d’époux dont l’un est musulman.

I – QUAND LE MARIAGE EST CÉLÉBRÉ EN FRANCE

1°/ Le droit de l’Etat

La loi française autorise le mariage d’un musulman (e) avec un conjoint de la même religion que lui (ou elle), adepte d’une autre religion ou n’en professant aucune ; comme elle ne s’intéresse pas aux convictions religieuses des époux, elle n’y met aucun empêchement. Pour être légalement valide, et donc inscrit à l’état-civil, un mariage dont l’un des époux au moins serait musulman doit être célébré à la mairie et la partie musulmane doit s’engager à respecter les principes légaux en matière matrimoniale, notamment la monogamie.

Les nouveaux époux, que tous deux ou un seul soient musulmans, ont le droit de doubler leur mariage civil d’un mariage religieux à la mosquée. Ce mariage religieux peut les conduire à se conformer aux principes de l’islam, notamment au respect des empêchements matrimoniaux prévus par la charia (loi islamique).

2°/ Le droit islamique

Le Coran interdit formellement le mariage entre un non-musulman (juif, chrétien, bouddhiste, hindouiste, animiste, sans religion ou athée déclaré) et une musulmane. « Ne mariez pas vos filles à des polythéistes-associateurs avant qu’ils croient » (2, 221) (1). Cette prescription est justifiée par la nécessité de garantir la transmission de l’islam aux futurs enfants, prérogative exclusive du père. Que l’épouse chrétienne (ou juive) conserve sa propre religion n’a aucune importance de ce point de vue. « Est licite pour vous le mariage avec les femmes libres et chastes, musulmanes, juives ou chrétiennes » (5, 5). Mahomet a d’ailleurs épousé une chrétienne égyptienne, Marie la Copte, qui lui a donné un fils, Ibrahim.
Cependant, le mariage d’un musulman avec une femme polythéiste (ni juive ni chrétienne) qui persiste à refuser de croire dans le Dieu unique est prohibé (2, 221). Ces règles sont appliquées dans l’islam sunnite et dans l’islam chiite.

Pour répondre à l’exigence coranique, un chrétien ou un juif désirant se marier avec une musulmane est donc souvent contraint par la famille de sa future épouse de se déclarer musulman. La procédure est simple : le prétendant prononce la châhada (« J’atteste qu’il n’y a pas d’autre dieu que Dieu et que Mahomet est son Prophète ») en arabe et devant deux témoins masculins, puis il signe un document qui l’engage pour la vie puisque l’islam n’autorise pas un musulman à renoncer à sa religion, laquelle est aussi un élément de son identité civile. Cette châhada de convenance est tacitement reconnue par l’islam : personne ne vérifie l’adhésion réelle au dogme coranique ou la connaissance de la religion.

Ces « conversions » constituent l’une des causes les plus fréquentes du passage de jeunes Français, chrétiens ou pas, à l’islam. L’Etat laïque n’intervient pas à ce niveau. Pour lui, un changement de religion relève de la liberté de conscience et doit donc être respecté.

3°/ Le droit de l’Eglise catholique

L’Eglise catholique dans sa tradition la plus constante et dans toutes ses confessions, latine et orientales, est nettement défavorable aux mariages de ses fidèles avec des personnes non baptisées. Le principe d’invalidité de ces unions repose sur le fait qu’elles ne permettent pas la réalisation de la communauté de foi que doit fonder et développer le mariage chrétien, faisant des époux les témoins de l’amour du Christ pour son Eglise. Cet empêchement est rappelé par le Code de droit canonique actuel, promulgué en 1990 : « Est invalide le mariage entre deux personnes dont l’une a été baptisée dans l’Eglise catholique ou reçue dans cette Eglise et ne l’a pas quittée par un acte formel, et l’autre n’a pas été baptisée » (can. 1086 § 1).

Les exceptions au principe

Le Code permet cependant l’octroi de « dispenses pour disparité de culte » (§ 2) (2). Cette prérogative, qui doit être motivée par «  une cause juste et raisonnable » (can. 1125), est réservée à l’évêque du catholique concerné. De telles exceptions sont envisagées par le Catéchisme de l’Eglise catholique qui mentionne cependant les difficultés de ces mariages, surtout à cause des divergences concernant la nature de l’union matrimoniale (n° 1634) (cf. PFV n° 20). Mais le Catéchisme voit aussi dans ces unions un lieu d’évangélisation du conjoint non chrétien, qui peut être attiré par le témoignage de la partie catholique (n° 1637).

En aucun cas, cependant, la validité religieuse d’un mariage islamo-chrétien n’est conditionnée par la conversion au christianisme ou le baptême de la partie musulmane.voir PFV n°20-
Des conditions précises sont alors à observer par les futurs mariés optant pour une célébration chrétienne. Chacun d’entre eux doit produire une déclaration d’intention : la partie catholique doit déclarer sa disposition à « écarter les dangers d’abandon de la foi » et promettre « sincèrement de faire tout son possible pour que tous les enfants soient baptisés et éduqués dans l’Eglise catholique » ; l’autre partie, musulmane en l’occurrence, doit déclarer être « informée à temps de ces promesses » afin qu’elle ne puisse pas prétendre les ignorer ; enfin, « les deux parties doivent être instruites des fins et des propriétés essentielles du mariage, qui ne doivent être exclues ni par l’un ni par l’autre des contractants » (can. 1125).
Ces « fins et propriétés » sont explicitées par le Code : « Du mariage valide, naît entre les conjoints un lien de par sa nature perpétuel et exclusif » (can. 1134). Ces principes excluent toute perspective de polygamie et de répudiation qui sont autorisées par la charia (cf. PFV n° 20).

Le déroulement du mariage

Sauf en cas de danger majeur pour l’un ou l’autre des conjoints, situation qui requiert la discrétion (can. 1127 § 2), l’échange des consentements doit être reçu dans une église au cours d’une liturgie de la Parole présidée par un prêtre mais sans célébration eucharistique. Il ne s’agit pas d’une union sacramentelle. Pour être sacramentel, le mariage doit être vécu entre deux baptisés.
Pendant la cérémonie, des textes islamiques peuvent être lus par des proches du conjoint musulman à la condition expresse qu’ils ne remplacent pas les textes liturgiques et bibliques et ne contredisent aucune vérité chrétienne. L’Eglise interdit en principe toute autre célébration matrimoniale selon le rite islamique.
A ces conditions, le mariage islamo-chrétien est considéré comme valide par l’Eglise catholique.

 

PFV N° 24

Deuxième partie

I – QUAND LE MARIAGE EST CÉLÉBRÉ DANS UN PAYS

MUSULMAN

1°/ Le droit islamique s’impose

Si le mariage a lieu dans un pays où prévaut la loi islamique, le futur époux Français et chrétien (ou juif) doit obligatoirement adopter la religion musulmane. Il peut arriver qu’outre le prononcé de la châhada, il lui soit demandé d’ajouter des phrases telles que : « Je renie toute appartenance à toute autre croyance ou Eglise » ; « Je renie la personne divine de Jésus-Christ » (Témoignage recueilli par Famille chrétienne, n° 1571, 23-29 février 2008).
Une Marocaine qui, dans son pays, épouserait un non-musulman serait considérée comme célibataire et si cette union est publique, elle et son conjoint pourraient être condamnés pénalement pour fornication.
La même obligation est imposée par la charia à un couple islamo-chrétien qui, après un mariage contracté en France, y compris éventuellement à l’église, s’installe dans un tel pays et veut y voir sa situation reconnue par la loi locale. En application d’une convention signée le 27 mai 1983 entre la France et le Maroc, les consulats français n’enregistrent à l’état civil les unions conclues dans ce pays que si les demandeurs produisent un certificat de mariage dont la conformité au droit marocain, qui repose sur la charia, est dûment attestée par un adoul (sorte de notaire). Cela revient de la part de la France laïque à exiger la conversion à l’islam du conjoint non musulman.
Au Liban, où l’islam n’est pas religion d’Etat et où la charia concernant le statut personnel (mariage, filiation, héritage) n’est pas applicable à tous les citoyens, chacun relevant dans ce domaine du droit propre de sa communauté de naissance, les mariages islamo-chrétiens suivent la règle générale prescrite par le droit musulman. C’est pour en finir avec ce système que des Libanais militent pour la reconnaissance légale du mariage civil.

 Au Liban, nous sommes des frères [en tant que citoyens], mais nous ne pouvons pas être des beaux-frères »,

disait l’ancien président Charles Hélou (1964-1970) pour illustrer cette situation.

2°/ Les conséquences pour l’épouse chrétienne d’un musulman

L’épouse chrétienne d’un mari musulman a le droit de conserver ses convictions et son identité religieuse et, en principe, de pratiquer librement son culte. Mais cette liberté est assortie de conditions qui en restreignent considérablement la portée.(cf.PFV n°20)

  • La femme ne peut espérer faire valoir la dispense pour disparité de culte et doit renoncer à une célébration à l’église.
  •  Elle perd tout droit à l’héritage de son mari en cas de veuvage.
  • Elle ne peut pas transmettre sa foi et ses valeurs à ses enfants. Et c’est pour éviter ce « risque » qu’en cas de divorce ou de répudiation, la garde des enfants est confiée au père ou, à défaut, au parent mâle le plus proche par les tribunaux islamiques.
  • Elle doit subir les effets d’une culture éloignée des valeurs chrétiennes : poids de l’Oumma (la communauté des musulmans), infériorité de la femme, ségrégation entre les sexes dans l’espace public ou lors des fêtes familiales, y compris les mariages.
  •  Elle doit aménager sa vie de foi et l’organisation de son foyer avec les obligations des préceptes de l’islam lorsque son mari est un musulman pratiquant : privation d’alcool et de porc, jeûne du Ramadan, etc.

Les pressions familiales

Il arrive fréquemment que la famille du mari accepte mal une telle union, considérée comme déshonorante pour la communauté. Des pressions, voire des violences, sont exercées sur l’épouse chrétienne pour qu’elle se fasse musulmane. Cette « conversion » lui est présentée comme une simple formalité destinée à lui assurer des conditions de vie décente et à lui épargner tout harcèlement, mais si elle obtempère et apostasie sa foi pour être tranquille cela la place dans une situation fausse par rapport à sa conscience et la met de toute façon dans une dépendance totale envers sa belle-famille. Pour échapper aux pressions de sa mère (celle-ci a plus d’importance que l’épouse aux yeux d’un musulman), il peut arriver que le mari répudie sa femme chrétienne et garde les enfants.
On ne peut exclure non plus les cas où le mari musulman, conciliant au départ, se laisse prendre par l’islam radical, évolution qui peut d’ailleurs se produire également si les époux résident en France.

Compte tenu de tout ce qui précède, lorsqu’un chrétien (ne) envisage d’épouser un musulman (e), les fiancés doivent s’entendre sur le choix du lieu de résidence après leur mariage, afin d’en évaluer lucidement les conséquences.

 

PFV N° 25

Troisième partie

Quel est le statut des enfants nés au sein de foyers islamo-chrétiens ? Ces mariages servent-ils l’harmonie interreligieuse ?

I – LES CONSÉQUENCES POUR LES ENFANTS

Dans un pays régi par l’islam, l’enfant né d’un père musulman, quelle que soit la religion de sa mère, est aussitôt inscrit comme musulman à l’état civil.
Dès sa naissance, il est un enjeu familial, aussi bien en France qu’à l’étranger. Il ravive, met au jour l’identité religieuse, culturelle, nationale, de chacun des parents. Ceux-ci ont à répondre à des questions comme le choix du prénom, le baptême ou la circoncision (mais le baptême est strictement interdit là où prévaut la charia), l’éducation religieuse.

Si, dans un pays musulman, l’enfant fréquente une école publique, il peut subir un enseignement très hostile au christianisme, religion de l’un de ses parents. Si sa mère chrétienne est attachée à sa religion, il est tiraillé entre l’islam dominant dans la famille et la société et son attrait éventuel pour le christianisme.

Le plus souvent, lorsque les époux vivent en France, ils se contentent du « choix différé », laissant la possibilité à l’enfant de choisir à l’âge adulte. Mais si le mariage a été célébré à l’église, cette attitude contrevient aux déclarations d’intention signées par les époux (cf. supra PFV n° 20).

II – LES MARIAGES ISLAMO-CHRÉTIENS FACTEURS

D’HARMONIE INTERRELIGIEUSE ?

Certains catholiques, y compris parmi le clergé, considèrent que les mariages entre chrétiens et musulmans sont le lieu idéal pour une connaissance mutuelle et respectueuse des deux religions et donc pour un dialogue fécond ainsi que pour l’expérimentation d’une authentique convivialité islamo-chrétienne.

L’examen du droit islamique et la lecture de l’histoire du Proche-Orient conduisent plutôt à la réserve. En fait, la charia en matière matrimoniale et familiale est conçue de façon à consolider l’islam et elle constitue un outil efficace au service de son expansion.

En outre, la conception islamique de la vie sociale (prise en charge de l’individu par l’Oumma, y compris dans sa pratique de la religion) et les facilités dans le domaine de la morale (permission polygamique, répudiation, loi du talion, etc.) peuvent présenter des attraits irrésistibles pour les chrétiens peu enracinés dans leur foi en Jésus-Christ et pour ceux qui n’ont pas reçu une formation religieuse suffisante.

Ainsi, au Proche-Orient, il arrive qu’un chrétien renie sa foi au profit de l’islam, non seulement pour pouvoir épouser une musulmane mais aussi pour pouvoir bénéficier d’un héritage ou du droit au divorce et au remariage, puisque ces pratiques sont interdites par l’Eglise.

Des témoignages

Trois récits contemporains témoignent d’expériences dramatiques vécues par deux Françaises ayant épousé, l’une un Marocain, l’autre un Algérien (tous deux sunnites), et par une Américaine, femme d’un Iranien (chiite) :

  •  Clotilde Clovis, Candide au pays d’Allah, éd. Qabel, 2011 ;
  •  Maria S., Mariée à un musulman, L’œuvre éditions, 2012 ;
  • Betty Mahmoody, Jamais sans ma fille, éd. Fixot, 1988.
    Au Pakistan, Kalsoum, musulmane ayant choisi la religion de son mari chrétien, Yousuf :

La vie après le mariage était terrible. Nous avons dû nous cacher car la famille et la communauté menaçaient de nous tuer » (L’Orient-Le Jour, Beyrouth, 18 août 2014).

Les réserves de l’Eglise

Confrontée à l’augmentation des mariages islamo-chrétiens et à leurs conséquences pour la foi du conjoint catholique et des enfants, l’Eglise catholique se montre très réservée à leur égard. Dans une instruction du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants, Erga migrantes caritas Christi (« La charité du Christ envers les migrants »), publiée le 4 mai 2004, le Saint-Siège a, pour la première fois, « déconseillé » le mariage entre ses fidèles et des migrants non chrétiens (n° 63).
Un passage concerne spécifiquement les projets d’unions avec des musulmans.

 Dans le cas d’une demande de mariage par une femme catholique et un musulman […], au vu aussi des expériences amères, il faudra faire une préparation particulièrement soignée et approfondie. Elle devra amener les fiancés à connaître et assumer en connaissance de cause les profondes diversités culturelles et religieuses auxquelles ils devront faire face, que ce soit entre eux ou avec les familles et l’environnement de la partie musulmane, vers lesquels ils seront éventuellement appelés à revenir après un séjour à l’étranger […]. Dans le cas où le mariage serait transcrit auprès d’un consulat d’un Etat islamique, la partie catholique devra cependant se garder de lire ou de signer des documents contenant la châhada » (n° 67).

Et, enfin, concernant le baptême des enfants à naître,

 le problème doit être clairement soulevé durant la préparation au mariage et la partie catholique devra s’engager dans le sens voulu par l’Eglise » (n° 68).

CONCLUSION

Réflexion du Père Charles Saad, prêtre libanais maronite, docteur en droit canonique de l’Institut catholique de Paris.

 Il faut beaucoup de prudence avant d’accorder des dispenses. Il faut prendre son temps pour juger les faits, et avoir des preuves que le conjoint non chrétien respectera la foi chrétienne de son conjoint, telle qu’elle est. S’il dit que l’islam a toujours respecté les chrétiens, ce n’est pas vrai ; l’islam traditionnel pense à un christianisme mythique qui n’a jamais existé que dans le Coran. C’est une vue purement platonique des choses. C’est le rapport réel du conjoint avec Dieu dans le secret du cœur qu’il s’agit de respecter. S’il y a ce respect, alors on peut aller plus loin. Le drame est que la raison, pour les musulmans, interdit à Dieu d’être ce que les chrétiens croient qu’Il est » (3).

 

Annie Laurent

(1) Les associateurs sont les chrétiens, coupables selon le Coran d’associer au Dieu unique deux autres divinités (Jésus et Marie) ; les polythéistes sont ceux qui adorent de multiples divinités.
(2) L’Eglise catholique distingue entre le mariage mixte (entre baptisés de confessions différentes) et le mariage dispar (entre catholique et non chrétien).
(3) Extrait du livre Les mariages islamo-chrétiens (L’Harmattan, 2004). Il s’agit d’un ouvrage essentiel sur le sujet. L’auteur y présente aussi le droit des Eglises catholiques orientales, des Eglises orthodoxes et des communautés protestantes.


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