Radio-Espérance 8 mai 2013
Ecouter audio ICI
En Syrie, la grande majorité des chrétiens appartiennent à l’Eglise grecque-orthodoxe et à d’autres Eglises non catholiques. Pour ces chrétiens, la fête de Pâques a donc eu lieu dimanche dernier, le 5 mai. En signe de communion, dans la situation tragique que connaît le pays, beaucoup de catholiques ont, eux aussi, célébré la Passion et la Résurrection de Jésus-Christ à la même date. Une initiative semblable a été prise en Egypte, où les catholiques de divers rites se sont alignés sur le calendrier copte. Mais c’est la Syrie qui retient mon attention cette semaine.
A l’heure où j’enregistre cette chronique, mardi 7 mai, on est toujours sans nouvelles des deux évêques orthodoxes, Jean Ibrahim et Paul Yazigi, qui ont été enlevés le 22 avril près d’Alep, dans le nord du pays. Pour cette raison, la veille de Pâques, le patriarche grec-orthodoxe Jean X Yazigi, frère de l’un de ces évêques, a annoncé qu’il ne recevrait pas les félicitation des fidèles, comme c’est l’usage au Proche-Orient à chaque grande fête religieuse. En outre, toutes les paroisses ont supprimé les processions, à cause des risques d’attentats et de bombardements. « Pour la troisième année, nous célébrons Pâques avec tristesse », a déclaré un médecin d’Alep cité par la presse libanaise. 90 % des chrétiens de cette ville auraient déjà fui pour échapper à la terreur et à la misère. Parmi les chrétiens de Damas, ceux qui en ont les moyens ou qui ont de la famille au Liban ont choisi d’aller passer quelques jours à Beyrouth pour participer en sécurité aux cérémonies liturgiques.
Au début de la Semaine sainte,
le patriarche grec-orthodoxe, Jean X, a adressé un message d’encouragement à ses prêtres et fidèles laïcs habitant en Syrie et à ceux qui s’entassent dans des camps de réfugiés au Liban, en Jordanie et en Turquie. Voici un extrait de cette lettre pastorale : « Nous refusons la réalité qui nous est imposée, mais nous n’avons pas peur de celui qui use de la violence car nous sommes les enfants de la Résurrection. Que nous soyons tués, que nous soyons enlevés, que nos institutions soient détruites, tout cela ne va pas entamer notre détermination à continuer à nous attacher à notre citoyenneté et à la coexistence, à nous accrocher à notre terre et à demander la justice. La cause chrétienne est celle de la personne humaine car notre Seigneur s’est incarné pour son salut ». Et le patriarche lance aussi un appel à la fraternité entre chrétiens, surtout à l’heure où tant d’épreuves les accablent.
Voici, à cet égard, le témoignage des franciscains présents en Syrie, tel qu’il est rapporté par la revue Terre sainte éditée à Jérusalem. Je cite : « Dans de nombreux villages, des révolutionnaires ont séquestré de jeunes chrétiens et exigent des rançons énormes pour les libérer. Parfois, ils entrent dans un village et ordonnent aux chrétiens de quitter le pays sous quelques heures. Ils prennent les églises et les transforment en dépôts d’armes ».
Selon le vicaire général
des syriaques-catholiques d’Alep, des centaines de familles chrétiennes ont dû fuir les villes de Qamichli et Hassaké investies par les terroristes du Front El-Nosra, affiliés à El-Qaïda. Un témoin raconte que ces combattants s’emparent de leurs maisons et vendent leurs meubles. Dans le nord de la Syrie également, les Kurdes confisquent des champs cultivés appartenant à des chrétiens.
Le chef d’un mouvement islamiste
actif à Alep a récemment déclaré dans un journal panarabe, El-Hayat, que les Syriens chrétiens « ne sont pas de vrais Syriens ». Ces propos ont suscité beaucoup d’indignation chez les chrétiens de toute la région, compte tenu du rôle pionnier joué par leurs ancêtres en faveur du progrès de la civilisation arabe. Ainsi, dès 1702, le patriarche grec-orthodoxe Athanassios Dabbas installait à Alep la première imprimerie arabe. Ce sont aussi des Alépins chrétiens qui ont lancé, au XIXème siècle, le grand mouvement de renaissance culturelle et d’émancipation politique connu sous le nom de Nahda.
Comment ne pas comprendre l’amertume qui s’empare de ces chrétiens victimes de rejet, de marginalisation et d’agressions, alors qu’ils ont tant apporté à leur patrie, la Syrie, hier comme aujourd’hui ?
Annie Laurent