Radio-Espérance, 1er mai 2013
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Le 24 avril dernier, comme chaque année, les Arméniens du monde entier ont commémoré l’anniversaire du génocide de 1915 perpétré contre leur peuple en Turquie.
Au Proche-Orient, en Europe et dans les Amériques,
partout où les rescapés furent accueillis après la tragédie, les descendants de ce meurtre collectif se sont réunis pour évoquer le passé et pour assister à des messes du souvenir. Cette fidélité doublée de la prière montre à quel point l’identité ethnique des Arméniens est inséparable de leur foi chrétienne. Leur nation a d’ailleurs été la première dans l’histoire à choisir le christianisme comme religion officielle. C’était en 301 lorsque le roi Tiridate fut baptisé par le patriarche saint Grégoire l’Illuminateur.
Cette commémoration m’offre l’occasion de recommander la lecture d’un livre qui vient de paraître sous le titre « La Turquie et le fantôme arménien », édité par Actes Sud.
Ses deux auteurs, Laure Marchand et Guillaume Perrier, sont correspondants de la presse française en Turquie. Ensemble, ils ont mené la première vaste enquête de terrain sur la mémoire du génocide. Ils sont partis de Marseille, cette « petite Arménie », ainsi dénommée parce que la ville accueillit un très grand nombre de survivants arrivés par bateau et qu’elle abrite un centre voué à la conservation d’innombrables documents-témoins. Cette Association pour la recherche et l’archivage de la mémoire, en abrégé Aram, a été fondée en 1997. Laure Marchand et Guillaume Perrier la décrivent comme « une véritable arche de Noé pour les Arméniens de France » qui ne cessent de l’alimenter en lui léguant tout ce qu’ils peuvent trouver dans les vestiges familiaux.
Les deux journalistes
ont ensuite sillonné la Turquie de long en large à la recherche de toutes les traces, visibles ou invisibles, susceptibles de faire parler ce passé à la fois si douloureux et si enfoui. Ils ont suivi un Arménien de Los Angeles qui organise depuis vingt ans des circuits sur mesure pour des descendants de rescapés en quête de racines. Avec ces pèlerins de la mémoire, ils ont quelquefois pu rencontrer de rares survivants dissimulés sous l’identité turco-musulmane qui leur fut imposée. « Je ne suis pas vraiment musulman, si vous voyez ce que je veux dire », avoue l’un d’eux à des visiteurs surpris par le dévouement avec lequel cet homme au prénom islamique, Ahmet, entretient une église de campagne. Ahmet accomplit ainsi le serment fait à son père qui, resté secrètement chrétien, s’est endormi dans la mort en 1975.
Pour sauver sa vie lors du génocide,
il fallait payer le prix du reniement : faire profession d’islam, changer de prénom, acquérir de nouvelles mœurs, donc rayer son passé chrétien. Beaucoup de jeunes filles arméniennes furent kidnappées et épousées de force par des musulmans. Des enfants furent adoptés par des couples de Turcs stériles. Des dizaines de milliers d’Arméniens furent ainsi islamisés. « Ces enfants, ces jeunes filles ont donné la vie à une branche invisible de rescapés du génocide », soulignent Laure Marchand et Guillaume Perrier. Depuis quelques années, ce phénomène est connu en Turquie grâce à l’exhumation de nombreux secrets de famille effectuée par des femmes qui ont publié leurs découvertes dans des ouvrages à succès. « Nous sommes des millions de petits-enfants du génocide et nous portons en héritage la souffrance qui s’est transmise de génération en génération », confie l’une d’elles. L’impact de ces publications est tel que certains « faux musulmans » demandent le baptême.
Laure Marchand et Guillaume Perrier se sont aussi penchés sur le « génocide de la pierre ». Dès son avènement, en 1923, la République instaurée par Atatürk s’est emparée des propriétés chrétiennes, détruisant sans scrupule des centaines d’églises et de monastères, tandis que d’autres étaient transformés en mosquées ou en étables. L’Etat a également entrepris de tout turquifier, y compris les noms de villages, de rivières et même d’animaux. Toute trace d’un passé non turc et non musulman devait disparaître.
Ce livre exemplaire, émaillé de récits poignants, est préfacé par un intellectuel turc, Taner Akçam, qui milite depuis vingt ans pour une confrontation honnête de l’Etat avec son histoire. A lire donc : « La Turquie et le fantôme arménien », aux éditions Actes Sud.
Annie Laurent