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LE DÉSASTRE DU PROCHE-ORIENT

 

Article paru dans La Nef n° 279 – Mars 2016

 

En déclenchant deux guerres contre l’Irak (1991 et 2003), les présidents américains George Bush, père et fils, se sont heurtés à l’opposition résolue de Jean-Paul II. Chaque fois, le saint pape refusa le label de légitimité mis en avant par les Etats-Unis pour justifier leurs projets belliqueux, rappelant qu’ils ne répondaient à aucun des critères de la guerre juste définis par la doctrine sociale de l’Eglise, notamment la légitime défense.

La première attaque,

dite « guerre du Golfe » (janvier-mars 1991), eut pour motif officiel la libération du Koweït qui avait été envahi par l’armée irakienne le 2 août 1990. Après avoir, peu auparavant, laissé croire au président Saddam Hussein que l’opération en cours de préparation les laisserait indifférents, les Etats-Unis s’appliquèrent à imposer leur plan à l’ONU, ne laissant aucune chance à la négociation. Dès le début, George H. Bush entreprit de réunir une vaste coalition de 34 Etats qui entra en action sitôt l’ultimatum du 15 janvier expiré, tandis que le secrétaire général, Javier Perez de Cuellar, regrettait cette offensive qui n’était pas conduite sous le drapeau onusien.

De son côté, le Saint-Siège,

tout en condamnant sans équivoque l’invasion du Koweït, parce que contraire au droit international, rappela sans relâche la nécessité de recourir à des moyens pacifiques pour résoudre le conflit et insista sur le rôle de l’ONU. Dans un article paru le 17 novembre 1990, la revue jésuite Civilta Cattolica, qui reflète la position du Vatican, s’interrogeait sur les véritables intentions de Washington : libérer le Koweït ou abattre Saddam Hussein ?

Le 12 janvier 1991, recevant les vœux du corps diplomatique, Jean-Paul II déclara :

 Laissant intactes les causes profondes de la violence dans cette partie du monde, la paix obtenue par les armes ne pourrait que préparer de nouvelles violences ».

Il entrevoyait ainsi les conséquences funestes de l’« aventure sans retour » qu’il avait déjà dénoncée dans son message de Noël.

Le Saint-Père avait raison. Le Koweït retrouva certes sa souveraineté mais le régime irakien, demeuré en place, affronta une rébellion de ses citoyens chiites et kurdes, encouragée par Washington qui ne tarda d’ailleurs pas à les lâcher, les livrant ainsi à une impitoyable répression tandis que l’embargo international décidé à l’initiative des Américains permittait à S. Hussein de renforcer son pouvoir. Jean-Paul II ne cessa de dénoncer la cruauté et l’inutilité de cette sanction.

Quant à la seconde guerre contre l’Irak,

pays inclus par George W. Bush dans « l’Axe du mal » (avec l’Iran et la Corée du Nord), sous le prétexte mensonger qu’il aurait possédé des armes de destruction massive et abrité des groupes terroristes (discours du 29 janvier 2002), ce qui le rendait complice des auteurs des attentats du 11 septembre 2001, le pape la considéra aussi comme illégitime, s’impliquant personnellement jusqu’au bout pour l’empêcher.

Le 27 février 2003, le cardinal Jean-Louis Tauran, secrétaire pour les relations avec les Etats, qualifiait de « guerre d’agression » tout recours à la force décidé « de manière unilatérale par un ou plusieurs Etats en dehors du cadre des Nations unies ». Il dénonçait ainsi le bienfondé du nouveau concept stratégique de « guerre préventive » élaboré à Washington pour assurer la sécurité du territoire états-unien. Puis, le 5 mars, le cardinal Pio Laghi, ancien nonce aux Etats-Unis et ami de la famille Bush, remit un message de Jean-Paul II au président américain qu’il plaçait face à sa conscience.

Mais l’incompréhension fut totale.

George W. Bush et ses alliés déclenchèrent les hostilités le 20 mars suivant, provoquant cette fois-ci la chute de S. Hussein et précipitant l’antique Mésopotamie dans un chaos d’où devait surgir, dix ans plus tard, le califat auto-proclamé Etat islamique.

Jean-Paul II savait que ces guerres répondaient à des calculs stratégiques de domination assortis d’une idéologie messianique.

En 1991 comme en 2003, les Bush père et fils, prétendant agir au nom de Dieu, affirmaient mener le combat du Bien contre le Mal. Le saint pape pressentait l’exacerbation du ressentiment du monde musulman contre l’Occident, qui entraînerait les chrétiens d’Orient dans un engrenage fatal et allumerait « un incendie terroriste » dans le monde entier.

 

Annie Laurent