« Le gouvernement sait que, dès que le droit de quitter l’islam sera donné, des millions d’ex-musulmans, qui cachent leur foi chrétienne et vivent dans la peur d’être découverts, se feront connaître ouvertement et mettront leur conversion en pratique ». Ainsi s’exprimait, en février 2009, l’avocat de Maher El-Gowhary.

VOIR ICI  un bel exemple de converties

Converti depuis trente ans et baptisé dans l’Eglise copte-orthodoxe sous les prénoms de Pierre-Athanase, ce ressortissant égyptien avait engagé une procédure en vue d’obtenir, pour lui-même et sa fille Dina, la reconnaissance civile de leur nouvelle identité religieuse. Sa démarche a été rejetée pour « menace à l’ordre public » et la décision a été confirmée le 13 juin 2009 par la Cour de Justice du Caire, saisie en appel.

Nombre de convertis

Parler de millions de convertis est évidemment exagéré, mais il y aurait au pays du Nil plusieurs milliers de musulmans devenus secrètement chrétiens.

A côté de ceux qui entrent dans l’Eglise copte-orthodoxe, laquelle se confond en quelque sorte avec la nation égyptienne, d’autres choisissent les communautés néo-protestantes, surtout évangéliques, financées ad libitum par les Etats-Unis. Celles-ci sont très actives sur les réseaux sociaux ainsi que sur le terrain, notamment en Turquie, en Iran, dans le monde arabe (au Proche-Orient et plus encore au Maghreb).

En Tunisie, en Algérie et au Maroc, elles profitent de l’effacement de l’Eglise catholique, qui attire encore toutefois. Etant donné la clandestinité à laquelle ces nouveaux chrétiens sont presque partout condamnés, il est impossible de disposer de statistiques sûres mais l’abondance des témoignages diffusés par Internet atteste la véracité de ce mouvement de conversions.

Cette réalité nouvelle est impressionnante,

compte tenu du verrouillage doctrinal opéré par le Coran qui développe de sévères mises en garde contre le christianisme. Les disciples du Christ y sont accusés, d’une part, d’avoir falsifié l’Evangile en divinisant Jésus, en inventant la Trinité et en occultant l’annonce de la venue de Mahomet comme « sceau des prophètes », d’autre part, d’exagérer avec les mystères et la recherche de la perfection morale.

Or, cet obstacle majeur n’empêche plus, aujourd’hui, beaucoup de musulmans de s’intéresser au christianisme, de découvrir la vérité sur le Christ, de s’attacher à Lui et de désirer le baptême. L’Esprit Saint semble pallier les défaillances missionnaires des Eglises orientales ou latines en se manifestant directement aux personnes en quête d’absolu. Les récits de conversions à partir de songes, d’apparitions et de miracles se multiplient.

D’autres facteurs interviennent dans cette découverte. Les échanges interculturels et les voyages professionnels mettent de plus en plus de musulmans en contact avec des chrétiens et des livres introuvables ou censurés dans leurs pays. Recontres et lectures les ouvrent à d’autres modes d’organisation sociale où la créativité est encouragée et la liberté des personnes exaltée, y compris sur le plan religieux.

Le cas de l’Iran est très intéressant. Selon le Père Humblot, beaucoup de jeunes chiites sont lassés par la propagande religieuse des mollahs et ne supportent plus la surveillance constante de la police politico-religieuse. Alors, ils cherchent ailleurs des réponses à leur quête spirituelle, en passant parfois par les œuvres de leurs grands poètes mystiques qui laissent entrevoir l’amour de Dieu et peuvent conduire à Jésus-Christ.

Des obstacles

Lorsque le désir du baptême s’impose aux néophytes, il leur faut franchir un autre obstacle : celui de la charia (loi islamique), qui interdit aux musulmans de renoncer à leur religion, fût-ce pour suivre leur conscience.

Selon l’islam, tout être humain qui vient au monde est musulman, puisque Dieu en a décidé ainsi dès la création et qu’Adam l’a accepté. C’est le « pacte primordial » (mithâq) mentionné dans le Coran (7, 172). Abandonner volontairement cette identité constitue donc une aberration qui conduit à la damnation éternelle.

« Quant à celui qui se sépare du Prophète [Mahomet] après avoir clairement connu la vraie Direction et qui suit un chemin différent de celui des croyants : nous nous détournerons de lui, comme lui-même s’est détourné ; nous le jetterons dans la Géhenne. Quelle détestable fin ! » (Coran 4, 115).

Le Coran ne prescrit aucune punition temporelle pour un tel acte, mais cette lacune est compensée par une prescription formulée par Mahomet et recueillie dans la Sunna (tradition mahométane), qui est normative : « Celui qui quitte la religion [l’islam], tuez-le ». A partir de là, le droit islamique a forgé le concept de ridda, terme recouvrant les notions d’apostasie (de la foi) et de trahison (de la communauté). La ridda est un crime passible de sanctions pénales pouvant aller jusqu’à la mort. Celle-ci n’est pas prescrite partout. Elle l’est notamment en Arabie-Séoudite, au Soudan, en Mauritanie, en Somalie, en Iran et au Pakistan. Ailleurs, les législations prévoient des peines variables.

Les Constitutions

En fait, les Constitutions sont ambiguës au sujet de la liberté religieuse, entendu sous l’aspect de liberté de conscience. Lorsque le principe y est énoncé il est souvent contredit par la proclamation de l’islam comme religion de l’Etat ou du peuple, ou les deux à la fois.

Là où le christianisme a été totalement éradiqué lors des conquêtes islamiques, du VIIè au XIIè siècles, il y a confusion entre les appartenances nationale et religieuse. Tel est le cas au Maghreb (Libye, Tunisie, Algérie, Maroc) ainsi que dans tous les Etats de la péninsule Arabique. Au Maroc, une petite communauté juive demeure cependant reconnue. Un chrétien venu de l’islam reste donc musulman pour l’état civil et, comme tel, soumis à la charia, y compris pour ce qui relève du statut personnel, ce qui n’était pas le cas dans la Tunisie de Bourguiba (1956-1987).

D’ailleurs, le plus souvent, dans ces pays, l’éventualité d’une conversion publique à une autre religion n’est même pas imaginable. Si cela arrive, la faute est censée en incomber à des étrangers prosélytes, notamment aux chrétiens gérant diverses institutions d’intérêt général (enseignement, santé, accueil d’orphelins) avec l’accord de l’Etat. Pour ce délit, l’ordonnance algérienne du 28 février 2006 prévoit une peine de deux à cinq ans de prison et une amende de 500 000 à 1 million de dinars (5 000 à 10 000 €) et le code pénal marocain (art. 220) six mois à trois ans de prison et une amende de 100 à 500 dirhams (10 à 50 €). Afin de « protéger » les musulmans contre toute « séduction », la police veille en outre à leur interdire l’accès aux églises et aux temples et s’assure qu’ils n’acquièrent pas de Bible ou d’autres livres chrétiens.

En mai dernier, un Libanais travaillant en Arabie-Séoudite a été condamné par le tribunal de Khobar à six ans de prison et à 300 coups de fouet pour avoir encouragé une musulmane de 28 ans à se convertir au christianisme et à s’exiler.

Quitter l’islam pour une autre religion,

lorsque le fait est connu, entraîne le déshonneur de la famille et est donc objet de scandale. L’histoire de Jean-Mohamed Abdeljalil (1904-1979), Marocain né à Fez dans une famille en vue, baptisé à Fontenay-sous-Bois et ordonné prêtre dans l’Ordre franciscain, est éloquente à cet égard. Sitôt sa conversion connue, son père fit organiser des funérailles publiques. Lors d’une visite dans son pays, en 1961, après trente-cinq d’éloignement, la presse locale annonça son retour à l’islam, ce qui l’obligea à écourter son séjour.

Là où les Eglises ont survécu aux vicissitudes de l’histoire, comme au Proche-Orient, il n’y a pas d’uniformité. L’Egypte est très stricte sur la question. Le 14 janvier 2013, le tribunal correctionnel de Beni Soueif a condamné une mère de famille, Nadia Abdelwahab, à quinze ans de prison pour être revenue à son christianisme originel, une fois veuve d’un musulman dont elle avait adopté la religion.

Les sept employés de l’état civil, reconnus coupables d’avoir remplacé son prénom musulman par celui de son baptême sur sa carte d’identité, ont été condamnés à la même peine.

En Iran, les prêtres des Eglises traditionnelles (arménienne et assyro-chaldéenne), placés sous contrôle permanent des autorités, n’ont pas le droit de célébrer ou de prêcher en persan, afin d’empêcher toute influence sur des musulmans. Entre septembre 2010 et septembre 2012, 300 chrétiens y ont été emprisonnés, certains pour prosélytisme, d’autres à cause de leur conversion.

Quant à l’Afrique subsaharienne, les situations varient selon que les régimes ont conservé ou pas la laïcité héritée de la période coloniale. Mais la progression de l’islamisme, encouragée par les investissements arabes, s’accompagne d’une remise en cause de la liberté religieuse, sinon de jure, du moins de facto.

En Turquie, la laïcité devrait en principe protéger la liberté de conscience, donc admettre le droit de changer de religion. Mais la citoyenneté y repose sur une collusion si étroite entre l’ethnie turque et la confession sunnite que le christianisme y est suspect et le baptême souvent perçu comme un dénigrement de l’islam, ce qui peut entraîner des plaintes pour blasphème, délit toujours en vigueur. La plupart des conversions sont dues aux missionnaires évangéliques. Elles ne sont jamais sans risques. En avril 2007, trois évangéliques, deux Turcs et un Allemand, ont été assassinés dans leur centre biblique en Anatolie.

A défaut d’être poursuivi en justice, un musulman qui devient chrétien au vu et au su de tous sait qu’il doit s’attendre à des représailles de sa famille et de son milieu professionnel.

Baptisé en 1994 et pasteur depuis 1998, l’Algérien Mahmoud Yahou décrit ainsi sa vie :

  Notre quotidien est fait de vexations et de brimades. Il y a les regards, la violence de certains propos, les rumeurs les plus folles sur les mœurs de notre communauté. Mais aussi la surveillance et les contrôles incessants des policiers ».

Lui-même s’est vu refuser le renouvellement de son passeport au motif que, devenu chrétien, il était un traître à sa patrie (1). Le néophyte sait aussi que, même sans jugement, il peut être tué au nom de la charia car celle-ci est, par essence, réputée supérieure à la loi civile. Une autorité religieuse peut donc de son propre gré édicter une fatwa (avis religieux) de condamnation à mort. Cela s’est passé pour l’Irakien Joseph Fadelle, converti du chiisme au catholicisme (cf. encadré). En pareil cas, la foi ne peut être vécue qu’en cachette.

Seul le Liban garantit l’entière liberté religieuse mais là aussi les convertis ne sont pas à l’abri de violences infligées par leur entourage. En mai 2012, une jeune chiite de 24 ans, Banine Kataya, baptisée à Baalbeck dans le rite maronite par le Père Elie Gharios, a été séquestrée par sa famille qui voulait la marier de force à un parent. Son père a expliqué qu’elle était « schizophrène » et que les prêtres de la région recouraient à la sorcellerie pour attirer des chiites au christianisme. Banine a réussi à s’enfuir. Le P. Gharios a été enlevé, torturé puis relâché.

Les révoltes arabes ont-elles ouvert la voie à la pleine liberté religieuse ?

Jusqu’en 2011, la Tunisie n’appliquait aucune sanction pénale à « l’apostat ». L’avenir est incertain car le pays attend toujours une nouvelle Constitution mais le projet actuel fait de l’Etat le protecteur de la religion (et non des religions), l’islam étant déclaré religion officielle. Depuis la victoire électorale du parti islamiste Ennahda (Renaissance), l’hostilité au christianisme se développe, ce qui nuit aux convertis. Yassine, chrétien de Carthage, confie :

 On ne peut pas parler de sa religion sans être rejeté, au travail, par sa famille. Sous Ben Ali, les conditions n’étaient pas vraiment bonnes, mais nous avions un certain degré de liberté pour pratiquer notre foi. Maintenant, nous avons peur » (2).

Quant à l’Egypte, la Constitution imposée en décembre 2012 par le président déchu Mohamed Morsi garantit « la liberté de croyance et de culte » » (art. 43). Or, tout Egyptien devant être enregistré comme juif, chrétien ou musulman (sunnite), cette liberté ne peut s’exercer que dans le cadre de la religion de chacun, la conversion à l’islam étant toujours encouragée, bien entendu. La justice peut librement décider d’appliquer strictement la charia, comme l’a montré l’affaire Abdelwahab relatée plus haut.

Les contraintes imposées par l’islam

là où il règne obligent les Eglises locales à renoncer à toute annonce de l’Evangile.

L’archevêque de Rabat (Maroc), Mgr Vincent Landel, interdit à ses prêtres de baptiser un musulman, même dans la discrétion, ce qui entraîne bien des souffrances chez les néophytes et fait l’affaire des évangéliques, moins scrupuleux.

L’arrivée d’évêques arabes et de jeunes prêtres européens indemnes du complexe post-colonial pourrait cependant augurer des temps nouveaux pour la mission au Maghreb. Ainsi, Mgr Ghaleb Bader, Jordanien et archevêque d’Alger depuis 2008, envisage autrement sa charge, au point d’avoir ouvert un catéchuménat pour les musulmans attirés par le Christ.

En revanche, certaines Eglises traditionnelles au Proche-Orient n’accueillent pas volontiers ces demandes de baptêmes, d’abord par peur des graves ennuis que cela peut leur valoir, ensuite en raison du repli communautariste hérité de l’histoire, qui a entraîné la confusion entre identité baptismale et appartenance ethnique, culturelle ou ecclésiale. Reste une question redoutable qu’il faut poser sans juger :

en estompant de son horizon le martyre qui transmet la vraie vie, l’Eglise ne perd-elle pas aussi de vue le sens de sa raison d’être et de son universalité, qui consiste à offrir à tous les moyens du salut et à accueillir positivement la diversité des provenances ?

Annie Laurent

Article paru dans La Nef n° 251 – Septembre 2013.

 

(1) Le Figaro-Magazine, 24 décembre 2010.

(2) Valeurs actuelles, 13 juin 2013.