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Depuis quelques années, l’Eglise catholique en France s’enrichit de convertis venus de l’islam. exemples ICI et ICI

Bien que faible encore et difficile à quantifier, leur nombre est constant. La plupart d’entre eux sont baptisés durant la veillée pascale dans les paroisses où ils ont suivi leur préparation.

En 2013, ceux-ci étaient 161, soit 5 % des 3 220 néophytes adultes, selon les données officielles du Service national du Catéchuménat. Le pourcentage était le même trois ans plus tôt (149 ex-musulmans sur 2 903 baptisés). D’autres reçoivent le sacrement de manière isolée et discrète, voire clandestine, compte tenu des risques liés à leur conversion. A tous ces nouveaux catholiques, il faut ajouter ceux qui optent pour une communauté néo-protestante.

Ce mouvement de conversions

se produit aussi ailleurs en Europe et même dans les contrées d’Asie et d’Afrique dominées par l’islam. Partout, bien que de manières différentes selon les lieux et les cultures, ces néophytes bousculent des institutions catholiques non préparées à cette réalité qu’elles n’ont pas explicitement souhaitée.

Que s’est-il donc passé pour que l’annonce de l’Evangile aux musulmans semble si peu préoccuper les pasteurs de l’Eglise catholique dans une Europe où ils sont de plus en plus nombreux et peuvent échapper aux contraintes en vigueur dans leurs pays d’origine ?

Depuis le concile Vatican II

beaucoup de catholiques européens pensent que l’annonce de l’Evangile aux non-chrétiens, et leur conversion, n’est plus à l’ordre du jour dans l’Eglise. La mission aurait été remplacée par le dialogue, mais un dialogue voulu pour lui-même et donc sans autre finalité que celle d’assurer ici-bas la cohabitation des religions.

Dans son encyclique Ecclesiam suam (6 août 1964), largement consacrée à la justification théologique du dialogue, le pape Paul VI précisait pourtant qu’il s’agit d’un « dialogue du salut », s’appuyant pour cela sur l’Histoire sainte où l’on voit Dieu prendre l’initiative d’une rencontre avec l’humanité pécheresse en vue de l’ouvrir à la Vérité indispensable pour accéder à la béatitude éternelle, comme le Christ l’enseigne dans l’Evangile. Ces exigences concernent bien entendu tous les hommes.

La Déclaration conciliaire Nostra aetate

devenue la charte du dialogue interreligieux, considère avec estime ce qui « est vrai et saint » dans les religions non chrétiennes mais elle rappelle aussi que l’Eglise « annonce, et est tenue d’annoncer sans cesse, le Christ, qui est “la voie, la vérité et la vie” (Jn 14, 6) » (§ 2). Il est vrai que ce rappel est placé dans la partie consacrée aux religions non monothéistes (hindouisme, bouddhisme, animisme), le passage sur les musulmans (§ 3) s’attachant pour sa part à promouvoir une nouvelle manière d’envisager les relations islamo-chrétiennes par l’oubli d’un passé conflictuel, la compréhension mutuelle et la collaboration, énumérant dans ce but ce qui est digne de respect dans l’attitude religieuse des fidèles de l’islam. Cette démarche a pu donner lieu à une interprétation erronée dans le contexte post- conciliaire marqué par l’herméneutique de la rupture qui sera dénoncée plus tard par Benoît XVI.

L’élaboration d’une « théologie des religions »

pas toujours bien maîtrisée a en outre conduit certains auteurs à rechercher à tout prix des convergences, voire une parenté, entre islam et christianisme, d’où l’inclusion des deux religions (plus le judaïsme) dans des formules telles que « religions abrahamiques » ou « religions du Livre », qui ne pouvaient qu’engendrer la confusion dans l’esprit des baptisés.

Combien de fois n’a-t-on pas entendu ce genre de remarque : « Puisque les musulmans croient en Dieu, pourquoi leur proposer de changer de religion ? » A force d’écarter les divergences, en particulier le refus coranique du salut en et par Jésus-Christ, certains chrétiens en sont venus à oublier que les musulmans ont, eux aussi, besoin du Christ rédempteur, qu’ils ont donc le droit de connaître la vérité sur Dieu et que les en priver constitue un grave manquement au mandat explicite de Jésus (cf. Mt 28, 19).

D’autres facteurs ont détourné une bonne partie des catholiques européens, clercs et laïcs, de l’obligation missionnaire : l’utopie pacifiste qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, la culpabilité post-coloniale et ses retombées telles que la « théologie réparatrice » (dénigrement de soi, exaltation de l’autre), la pastorale de l’enfouissement, l’éloge de la tolérance, l’individualisme et la sécularisation, etc.

Evangéliser devenait incompatible avec le dialogue, comme si Jésus Lui-même, les apôtres et les missionnaires de toujours n’avaient pas dialogué avec les personnes et les peuples auxquels ils annonçaient la Bonne Nouvelle ! Baptiser un musulman contrevenait à la gratuité inhérente au dialogue, entendait-on aussi parmi d’autres prétextes pour justifier l’inertie apostolique.

Ces positions restent dominantes en Europe,

malgré les fermes rappels du magistère pontifical (cf. exhortation apostolique Evangelii nuntiandi de Paul VI, 8 décembre 1975 ; encyclique Redemptoris missio de Jean-Paul II, 7 décembre 1990 ; déclaration Dominus Iesus du cardinal Joseph Ratzinger, 6 août 2000) et l’exemple courageux donné par Benoît XVI lui-même lorsqu’il a baptisé publiquement le journaliste italien d’origine égyptienne, Magdi-Cristiano Allam, le 22 mars 2008.

Déçu par le discours « islamophile » ambiant, celui-ci a annoncé sa sortie de l’Eglise catholique, le 25 mars dernier, juste après l’installation du pape François. Tout en affirmant qu’il continuerait de croire en Jésus qu’il aime et à s’enorgueillir d’être chrétien, il justifiait ainsi sa décision :

  Le facteur qui m’a plus que tout éloigné de l’Eglise est le relativisme religieux et en particulier la légitimation de l’Islam comme vraie religion, d’Allah comme étant le vrai Dieu, de Mahomet comme vrai prophète, du Coran comme texte sacré ».

Si le choix opéré par Allam, sans doute dû aussi à une conception politique de la religion comme le laissent penser ses écrits (un héritage de son passé musulman ?), est évidemment regrettable, il devrait néanmoins susciter une réflexion en profondeur au sein de la hiérarchie catholique.

C’est d’ailleurs pour obtenir un soutien plus affirmé de cette dernière qu’un autre converti venu de l’islam, Moh-Christophe Bilek, vétéran dans ce combat qu’il a engagé en France voici quinze ans, a demandé audience au Saint-Père, associant à sa démarche Joseph Fadelle et le pasteur évangélique Saïd Oujibou, tous deux également en quête d’une visibilité assumée. Conscients du fait que leur connaissance de l’islam et de l’arabe, du berbère, du turc ou du persan, pourrait rendre de grands services à l’évangélisation, ces néo-catholiques espèrent de leur hiérarchie un mandat et des moyens appropriés.

Pour l’heure, beaucoup d’anciens musulmans baptisés ont encore l’impression de déranger et souffrent de n’être toujours pas bien accueillis au sein de l’institution ecclésiale. En France, un seul diocèse, celui de Paris, dispose d’une structure reconnue pour cela : la maison d’Ananie, confiée à Mgr Philippe Brizard.

Les convertis

Les convertis ont, pour la plupart, grandi dans l’islam sunnite d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Mais des chiites embrassent également le catholicisme, surtout au Liban et en Iran. Etant donné les pressions et violences qui s’exercent contre eux dans ce dernier pays, beaucoup d’entre eux s’exilent en Europe où ils sont bien souvent isolés.

Ils savent cependant pouvoir compter sur le soutien du Père Pierre Humblot qui en a baptisé un grand nombre. Ce prêtre du Prado a vécu près de quarante ans à Téhéran où il avait la responsabilité du Centre Saint-Jean accueillant les catéchumènes musulmans pour l’Eglise chaldéenne. Ayant dû quitter l’Iran où il était menacé (le Centre a été fermé par les autorités en 2002 puis détruit cette année), il continue d’assumer ce ministère à partir de Paris. Sa connaissance du persan lui permet de superviser la traduction d’ouvrages de formation et de mystique chrétienne, de correspondre par Internet avec ceux qui sont restés sur place et de répondre aux questions que des musulmans attirés par le Christ lui posent à distance. Régulièrement, il visite ses ouailles résidant en province et hors de France (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Suède, etc.). Tout cela avec des moyens très modestes, à partir de la petite chambre qu’il occupe chez les Spiritains.

Pour faire face aux besoins, qui sont immenses, le P. Humblot rêve de la création d’un centre européen qui s’occuperait des Iraniens chiites catéchumènes ou déjà baptisés. Ses démarches dans ce sens sont restées vaines jusqu’à présent.

Sans attendre de mandat officiel de l’Eglise,

beaucoup de musulmans devenus chrétiens se font missionnaires auprès de leurs anciens coreligionnaires. Depuis quelques années, leurs initiatives foisonnent, comme l’a montré le Forum « Jésus le Messie » organisé par des laïcs à partir d’une suggestion de M.-C. Bilek, fondateur de la Communion Mère Qabel (« Accueil » en berbère).

Lors de cette rencontre, qui s’est déroulée à Lille le 22 juin 2013, devant une assistance émue, plusieurs convertis ont raconté leurs itinéraires vers la foi, la joie et la liberté que leur a procuré la découverte du Dieu Amour, ainsi que leurs difficultés à trouver une place dans l’Eglise. « J’ai connu le rejet car on identifie trop Maghrébin et musulman », a confié Joseph Benrebaï, venu de Vannes.

Ils ont aussi décrit leurs actions auprès des musulmans. L’une des plus faciles consiste à distribuer des tracts illustrés sur la voie publique, ce à quoi s’adonne l’association « Bonne Nouvelle aux musulmans » animée par Marie-Madeleine X., qui cherche à organiser des relais dans les régions françaises (1).

Les groupes liés à Mère Qabel font aussi preuve d’audace. A Valensole, Simon-Pierre Kerboua (Fraternité Saint-Marcellin) réalise des affichettes bilingues destinées à susciter la réflexion des musulmans à partir du contenu de leurs écritures sacrées. Par exemple, le Coran ne signale aucun époux à Marie. Alors Simon-Pierre pose cette question : « Puisque Marie est mère et vierge, qui est le père de Jésus ? ».

A Paris, sous l’égide de Notre-Dame de Kabylie, Pierre-Abdallah Lounnas, baptisé en Algérie, son pays natal, offre des Nouveaux Testaments aux musulmans qu’il croise dans le métro et les gares, tandis que Michel Diab, ancien chiite né au Liban, s’emploie à éclairer les jeunes catholiques sur l’islam. Les initiateurs du Forum de Lille espèrent que des bonnes volontés organiseront dans les grandes villes de France des journées semblables qui permettent l’échange d’expériences entre anciens et nouveaux catholiques et les encouragent tous à s’investir dans la mission auprès des musulmans et dans l’accompagnement des néophytes.

Aujourd’hui,

le contexte semble plus favorable grâce à l’arrivée d’une nouvelle génération d’évêques, de prêtres et de laïcs catholiques qui ont une perception plus claire et moins sociale de leur responsabilité baptismale. Pour eux, les convertis venus de l’islam ne représentent plus un handicap mais une richesse à accueillir dans l’action de grâces : le courage avec lequel ils ont dû franchir les barrières familiales et communautaires peut stimuler le renouveau de la foi de ceux qui l’ont reçue en héritage et les libérer de leurs préjugés selon lesquels un fidèle de l’islam serait a priori imperméable à l’Evangile.

Cette prise de conscience suscite depuis quelques années au sein de l’Eglise des initiatives missionnaires adaptées comme l’évangélisation sur les marchés, dans les rues et les immeubles, à l’exemple de ce que font dans la région parisienne les membres d’Aïn-Karem de l’abbé Michel Gitton, les Missionnaires de la Miséricorde divine fondés à Toulon par l’abbé Fabrice Loiseau ou les Petites Sœurs de l’Agneau un peu partout.

La communauté du Rocher, née au sein de l’Emmanuel, est tout entière vouée à cet apostolat. « Les banlieues sont une chance incroyable pour la nouvelle évangélisation », assure son fondateur Cyril Tisserand. « Le Rocher repose sur deux piliers : annonce directe et compassion. Les deux vont de pair, sinon on risque de devenir des idéologues.

Evangéliser – c’est-à-dire proposer la rencontre avec le Christ – ne peut passer que par l’amour ».

A Saint-Etienne, Radio-Espérance diffuse tous les jours l’Evangile en langue arabe. Mère Qabel suscite aussi des groupes de prière pour la conversion des musulmans. Certains aimeraient qu’un vaste mouvement paroissial s’organise à cette fin.

Pour Patricia des Granges (2), catéchiste aux Mureaux et au Chesnay (Yvelines), ayant longtemps œuvré au sein d’Aïn-Karem et spirituellement très proche de sainte Faustine, la miséricorde est la clé capable d’ouvrir le cœur des musulmans à la Vérité. Sa conviction repose notamment sur ce verset du Coran où Jésus (Issa) est décrit comme une « miséricorde venue de Dieu » (19, 21).

Cette foison d’idées pourrait bien être le fruit du défrichage entrepris au début du XXè siècle auprès des musulmans du Sahara par le bienheureux Charles de Foucauld dont on a trop longtemps déformé le véritable projet : amener tous les hommes au Christ.

 

Annie Laurent

Article paru dans La Nef n° 251 – Septembre 2013

 

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(1) On peut demander des tracts en écrivant à : bnm.amen@orange.fr

(2) Auteur d’un excellent roman, La clé du paradis, éd. de l’Emmanuel, 2012.