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A lire aussi en cliquant ICI, l’Eglise catholique face à la conversion des musulmans.

L’EVANGELISATION PAR LA MISERICORDE

ENTRETIEN AVEC L’ABBE FABRICE LOISEAU, FONDATEUR ET SUPERIEUR DES MISSIONNAIRES DE LA MISERICORDE (TOULON).

 1 – Quelle place votre société, les Missionnaires de la Miséricorde divine, accorde-t-elle à l’évangélisation des musulmans ?

Nous souhaitons que cette mission soit ancrée dans la spiritualité de la Miséricorde Divine. Il s’agit d’une intention prioritaire dans notre prière avec le chapelet de la Miséricorde, la dévotion mariale, les messes, les adorations, les processions, etc.

Ensuite nous accordons une place importante à la formation sur ce sujet : tous les propédeutes ont des cours sur l’Islam et la communauté suit régulièrement des sessions sur le Coran.

Plusieurs membres de la communauté apprennent l’arabe et les séminaristes sont souvent envoyés en stage pendant un an en quatrième année dans un pays musulman ; ainsi cette année un séminariste ira en Tunisie et un autre en Jordanie.

Enfin nous allons à la rencontre des musulmans par des rencontres personnelles dans la rue, par le porte-à-porte, par notre présence dans les bars à narguilé, par des matchs de foot: c’est l’occasion d’aborder directement les questions religieuses.

 2 – Avez-vous un « mode d’emploi » particulier pour cet apostolat ?

Le mode d’emploi c’est d’abord l’impact de la soutane et de la prière publique qui favorisent les rencontres personnelles.

Je ne crois pas beaucoup aux échanges publics théologiques. Mais c’est d’abord par la rencontre personnelle et l’amitié que les discussions viennent naturellement. On ne peut concevoir une telle mission sans charité et respect pour les musulmans que nous rencontrons.

Nous ne commençons pas par attaquer l’Islam mais par une insistance sur la Miséricorde Divine et le sens du pardon dans la Foi chrétienne. Il est important de défendre la divinité du Christ par des citations de l’Écriture qui doivent être connues par cœur. Le témoignage de la charité entre chrétiens est très important face à un communautarisme fort.

Je voudrais insister sur l’urgence d’une conversion missionnaire de nos communautés paroissiales, et d’une véritable intégration des musulmans convertis : beaucoup ne se sentent pas accueillis.

Enfin, il est capital de présenter le mystère de la Rédemption comme le point central de notre Foi. Les musulmans sont très choqués par la faiblesse du Christ. Nous devons rappeler que la Passion de Notre Seigneur est un acte de force inouïe, fruit d’un amour infini pour l’humanité. Loin d’être absurde, l’acceptation des souffrances du Christ est réparation de tous nos péchés. La faiblesse du Christ est en réalité la Force divine qui aboutit à la victoire sur la mort et le péché.

 3 – Votre visibilité (église ouverte et très fréquentée, processions publiques, habit religieux, etc.) constitue-t-elle un atout ou une gêne dans vos rapports avec les musulmans, nombreux dans le quartier de votre paroisse ?

Oui, nous avons 80% d’immigrés musulmans dans le quartier. Notre visibilité par l’habit et la prière publique loin d’être vécue comme une provocation, est très bien acceptée par la population musulmane. L’Islam ne supporte pas ceux qui cachent leur foi. Il ne s’agit pas d’un rapport de force qui se vit dans la violence mais dans une visibilité paisible. Témoigner de sa foi avec conviction et charité est donc essentiel. Si nous la vivons dans l’enfouissement, je crois que de nombreux musulmans auraient du mépris pour nous.

Beaucoup croient que les chrétiens ne sont pas épanouis dans leur religion, qu’ils sont subjugués par l’Islam mais qu’ils n’osent pas le dire. Nous sommes souvent interrogés sur ce que nous pensons de Mahomet. Il ne faudrait pas par une fausse conception du dialogue le reconnaître comme un prophète ou un homme inspiré. Nous devons affirmer avec force que la Révélation est achevée avec le Christ. Non seulement Mahomet ne peut être un prophète pour les chrétiens, mais sa vie et ses paroles ne répondent pas aux critères d’un saint ou d’un homme vertueux.

 4 – Quel bilan tirez-vous de votre expérience de dialogue avec les musulmans ?

Nous avons beaucoup de difficultés pour accompagner les musulmans qui voudraient commencer un cheminement spirituel avec nous. L’impact de l’Oumma, la communauté musulmane, est considérable. Dès que l’un d’entre eux se pose des questions, il est rattrapé et empêché par la communauté. Il faut donc beaucoup de patience.

Je suis frappé par les conséquences de certains dogmes musulmans sur la psychologie de nos interlocuteurs. La Parole incréée qui conçoit l’inspiration divine comme une dictée automatique interdit toute médiation de l’intelligence et de la culture.

Les discussions rationnelles sont alors très difficiles. Seule l’autorité du Coran dont il existe l’original au ciel est invoquée : « Dieu a décrété, tu te soumets ou alors ton cœur est mauvais parce que la parole d’Allah est irrésistible ».

Plus on avance dans des discussions théologiques, plus nous apparaissons aux yeux de certains comme des associateurs car l’Incarnation est pour eux un sacrilège. Il n’est pas rare que suite à des discussions certains jeunes religieux me disent que nous finirons en enfer. Je ne vous cache pas une certaine inquiétude devant la montée du salafisme dans nos quartiers. Contrairement à ce qui peut être dit cela ne touche pas que des jeunes en difficulté car je crois que l’Islam est fondamentaliste dans ses textes fondateurs. Il est frappant de constater que les musulmans dans leurs différentes sensibilités considèrent le rejet de l’Islam comme une apostasie méritant la peine de mort. Les thèmes les plus durs à propos de la liberté religieuse, la charia, le djihad, sont de plus en plus présents dans la pensée des jeunes.

Cependant nous pensons que le dialogue inter-religieux, s’il n’est pas vécu comme une finalité est nécessaire. Si le Concile Vatican II reconnaît ce qu’il y a de vrai et de saint dans les autres religions, il invite à annoncer Jésus comme seul Sauveur. Ainsi le fondamentalisme est donc bien présent dans l’Islam mais on ne saurait nier que beaucoup de musulmans essayent de chercher Dieu et la transcendance à travers leurs actes religieux. Ainsi, reconnaître certaines qualités dans la vertu naturelle de religion ne saurait être une reconnaissance de la véracité de la Révélation islamique.

Enfin, nous devons garder une grande Espérance devant le nombre important des conversions au christianisme ( beaucoup d’ évangéliques) qui ont lieu dans les pays du Maghreb. 40% de ces conversions ont pour origine des phénomènes miraculeux. Nous devons être attentifs à ce « signe des temps » face au défi de l’Islam.

 

Propos recueillis par Annie Laurent

Article paru dans La Nef n° 251 – Septembre 2013.