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VISITE HISTORIQUE DE MGR BÉCHARA RAÏ EN TERRE SAINTE

Durant le récent voyage du pape François en Terre sainte, la présence à ses côtés de l’un des principaux représentants du catholicisme oriental, en l’occurrence le cardinal Béchara Raï, patriarche de l’Eglise maronite, dont le siège est au Liban, est passée presque inaperçue en France. Ce déplacement pastoral méritait pourtant une attention particulière, compte tenu de ses implications géopolitiques.

D’abord, c’était la première visite d’un chef de cette Eglise en Terre sainte depuis la création d’Israël, en 1948. Or, quelque 10 000 maronites vivent dans l’ensemble Israël-Palestine. Ceux qui sont établis dans l’Etat hébreu, comme citoyens ou résidents provisoires, dépendent d’une éparchie créée en 1996, ayant son siège à Haïfa, la plus grande ville de Galilée. Les autres (habitants de Jérusalem et des territoires palestiniens autonomes) ont un exarchat patriarcal à Amman, des maronites résidant aussi en Jordanie.

La venue du patriarche

en Israël et dans la Jérusalem occupée n’allait pourtant pas de soi car il est Libanais. En effet, malgré l’armistice signé en 1949, le pays du Cèdre et Israël sont toujours officiellement en guerre, si bien que tout Libanais entretenant des rapports avec l’Etat hébreu peut être condamné pour haute trahison. Cependant, des dérogations existent pour les membres du clergé et les religieuses, envoyés en Israël pour y desservir les paroisses et institutions maronites. Le patriarche devait légitimement en bénéficier.

Pourtant, l’annonce de son projet a suscité de violentes critiques au Liban, notamment de la part du Hezbollah, le parti chiite pro-iranien, qui s’arroge le monopole de la résistance à Israël. Le journal El-Safir, proche de ce parti, a publié en première page un article intitulé : « Péché historique : Raï se rend en Israël ». Pour ce quotidien, la visite patriarcale constituait un précédent dangereux, de nature à cautionner l’occupation de la Palestine et à normaliser les relations de l’Eglise maronite avec l’Etat hébreu.

Ce soupçon n’est pas nouveau de la part de certains musulmans. Il peut s’expliquer par l’attitude passée d’une partie des chrétiens libanais. Pendant la guerre, la résistance libanaise, alors conduite par le maronite Béchir Gemayel, qui refusait le projet d’islamisation du système politique alors envisagé par les sunnites libanais et palestiniens et luttait contre l’hégémonie de la Syrie, accepta l’aide militaire que lui offrirent les dirigeants israéliens. Mais, par la suite, les maronites comprirent les arrière-pensées d’Israël : celui-ci cherchait à les persuader qu’ils ne seraient jamais en paix s’ils persistaient à défendre le modèle de coexistence multiconfessionnel caractéristique du Liban. Depuis 1990, il n’est plus question chez les maronites de militer pour un « Etat chrétien ».

Le Hezbollah connaît cette évolution.

D’ailleurs, les chiites, que ce parti prétend représenter, ont, eux aussi, collaboré avec Israël, notamment lorsque ce dernier occupait le Liban-Sud (1978-2000) où ils sont majoritaires. Abandonnés à leur sort par le gouvernement de Beyrouth, tous les habitants de cette région ne pouvaient survivre qu’à ce prix. Beaucoup de chiites s’étaient donc enrôlés avec des chrétiens dans la milice pro-israélienne qui combattait les Palestiniens (sunnites), d’autres franchissaient la frontière pour aller travailler dans l’Etat hébreu. Mais, lors du départ de l’armée israélienne, les miliciens chiites ont bénéficié de la protection du Hezbollah tandis que les chrétiens ont dû fuir avec leurs familles en Israël pour éviter des représailles. Environ 3 000 maronites y résident toujours. En les rencontrant, le cardinal Raï les a assurés qu’ils ne sont pas des traîtres, promettant de plaider leur cause auprès des autorités libanaises.

Parallèlement, le patriarche a exhorté ses fidèles de Terre sainte à s’attacher à leur patrimoine et à développer les œuvres susceptibles d’améliorer leur présence apostolique. L’intention du cardinal Raï était de confirmer les maronites dans leur enracinement oriental au moment où le gouvernement israélien, tout en revendiquant la judéité de l’Etat et en judaïsant Jérusalem, cherche à convaincre ses ressortissants chrétiens qu’ils ne sont pas Arabes et doivent se désolidariser des Palestiniens. Le but visé est de faire entrer les chrétiens dans la logique de l’éclatement confessionnel qui est en cours au Proche-Orient. Une nouvelle fois, le patriarche voulait montrer son refus d’un tel processus.

Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a rendu hommage au courage lucide du cardinal Raï en lui remettant l’Etoile de Jérusalem. En réponse, le chef de l’Eglise maronite lui a déclaré :

 Cette terre est à nous. C’est notre terre, notre histoire, notre identité, notre message. Nous portons votre cause et nous la défendons ».

 

Annie Laurent

Article paru dans L’Homme nouveau n° 1569 du 21 juin 2014