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Voir aussi ICI PFV n°47 : Mahomet ou Mohamed?

Depuis quelques mois, les médias se font l’écho de prises de position de musulmans exaspérés par le déni de réalité de leurs représentants face aux violences qui se commettent au nom de l’islam. Les auteurs de ces textes mettent en cause l’islam lui-même dans lequel ils voient la cause de tous les autres maux (absence de créativité, mépris de la femme, entraves aux libertés fondamentales, etc.) qui affectent le monde musulman, surtout arabe. Pour comprendre les blocages qui empêchent toute évolution de la pensée et de la pratique en islam, il faut prendre en considération le statut spécifique des Ecritures sacrées musulmanes. Tel est le but de ces deux Petites Feuilles vertes (n° 37 et 38) qui reprennent un article d’Annie Laurent publié dans le cadre d’un dossier comparatif sur la force et la violence dans le christianisme et dans l’islam, paru dans la revue Sedes Sapientiae n° 134 (décembre 2015) *.

* Cette revue trimestrielle a été créée par le Père Louis-Marie de Blignières, fondateur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier. Elle est éditée par la Société Saint-Thomas d’Aquin – 53340 Chémeré-le-Roi. Courriel : sedes@chemere.org

 


 

PFV n° 37 : LE STATUT DU CORAN

La référence principale sur laquelle les musulmans s’appuient pour ce qui concerne leurs croyances religieuses, leurs lois et l’élaboration de leur droit (charia et fiqh), l’organisation de leur société et leurs agissements dans le monde, est le Coran.

1 – QU’EST-CE QUE LE CORAN ?

Pour les musulmans, le Coran (« Récitation ») est la Parole de Dieu (« Kalâm Allah ») matérialisée en un Livre (« Kitâb Allah ») que le Créateur a fait descendre vers les hommes au moyen d’une double médiation, l’ange Gabriel et Mahomet. Ce dernier s’est d’abord fait connaître comme le « Transmetteur » avant d’être proclamé « Sceau des prophètes » (33, 40). Il s’est contenté de réciter à ses compagnons une dictée venue d’en-Haut pendant une période de vingt-deux ans, d’abord à La Mecque (de 610 à 622) puis à Médine (de 622 à 632).

Dans sa forme matérielle, le Coran est la copie conforme d’un original, la « Mère du Livre » (Oum el-Kitâb), conservée auprès de Dieu de toute éternité (13, 39). Il s’agit d’un texte coéternel et consubstantiel à Dieu, donc préexistant à l’histoire. Contrairement à la Bible, qui se présente comme un recueil d’œuvres écrites par des hommes sous la motion de l’Esprit Saint (doctrine de l’inspiration), la créature humaine n’a joué aucun rôle dans l’élaboration et la rédaction du Coran. C’est sans doute pour accréditer cette croyance que Mahomet est réputé analphabète chez les musulmans. Les recherches récentes montrent cependant qu’il savait écrire (Cf. Alfred-Louis de Prémare, Aux origines du Coran, éd. Téraèdre, 2004, p. 65).

Quant à la langue arabe, dans laquelle le Livre est écrit, elle provient d’un choix délibéré de Dieu Lui-même, qui annonce un « Coran arabe » (41, 2-3 ; 43, 3). Si bien que, « pour la tradition musulmane, la lettre et le contenu sont indissociables et tous deux font partie intégrante de la Révélation », raison pour laquelle la prière rituelle, composée surtout de versets coraniques, n’est valide que si elle est dite en arabe, sous peine d’altération de la Parole de Dieu (Michel Cuypers et Geneviève Gobillot, Idées reçues sur le Coran, entre tradition islamique et lecture moderne, éd. Le Cavalier bleu, 2014, p. 40-41).

On voit ici la différence avec le latin, le syriaque, le copte, l’arménien ou le grec liturgiques chez les chrétiens. Ces langues expriment le sacré mais elles ne sont pas « langues de Dieu ». L’arabité du Coran pose par ailleurs le problème de la licéité des traductions. Longtemps interdit, cet exercice est aujourd’hui autorisé afin de répondre aux besoins de la propagation de l’islam auprès des non-arabisants, mais on recourt alors à des euphémismes : c’est le « sens des versets » que l’on traduit et non les mots eux-mêmes.

Sur le fond, la « Révélation » coranique se présente comme le « Rappel » d’un « pacte primordial » (mîthâq) qui remonte aux origines lorsqu’Adam et ses descendants attestèrent de la suzeraineté de Dieu sur les hommes (7, 172-173). L’islam est donc la religion que le Créateur a conçue pour l’homme parce qu’elle est la mieux adaptée à sa nature et à sa condition. L’existence d’autres religions est dès lors aberrante et constitue autant de détournements du projet divin. Le Coran vise surtout les Écritures saintes des juifs et des chrétiens ; il prétend abroger et corriger les erreurs qui auraient été introduites dans la Torah et l’Évangile (5, 15) sous l’influence de Satan (22, 52). Mais, grâce à une protection spéciale dont les prophètes antérieurs n’ont pas bénéficié, Mahomet a échappé aux tentations démoniaques, transmettant ainsi un Coran intègre, Livre qui jouit de l’inimitabilité miraculeuse et ne peut être ni altéré ni falsifié (5, 48 ; 10, 38 ; 11, 13 ; 17, 88).

2 – LE CORAN INCRÉÉ

Tous ces traits confèrent au Livre saint de l’islam une autorité souveraine, englobante et contraignante. Ils sont récapitulés dans le dogme du Coran « incréé », qui s’est imposé au terme de discussions doctrinales et de violences ayant agité l’Oumma (la Communauté des musulmans) à partir du IXème siècle, dans les débuts de la dynastie abbasside établie à Bagdad. Un courant de pensée rationalisant, appelé motazilite (du mot arabe motazil = « qui s’isole »), considérait le Coran comme le vecteur créé de la Révélation de Dieu, ce qui laissait la place au libre-arbitre, à la raison et à la responsabilité du croyant. Le calife Mamoun (813-833), personnalité éclairée, chercha à imposer par la contrainte cette doctrine qu’il soutenait lui-même, mais il se heurta à de vives résistances dont tinrent compte ses successeurs. Et l’un d’eux, Moutawakkil (847-861), décréta le motazilisme hors-la-loi, initiative qui préluda à la « fermeture de la porte de l’ijtihad » (interprétation innovatrice) décidée par le calife Qadir (997-1031).

Depuis lors, en dépit des nombreux commentaires dont il a fait l’objet – cet exercice est largement admis -, le Coran échappe à toute analyse critique, et ceci malgré les efforts de penseurs contemporains qui militent pour un aggiornamento, certains d’entre eux considérant que la « divinité » même du Livre ne devrait plus être un obstacle ; autrement dit, qu’il ne devrait plus échapper aux traitements exégétiques et au recours à toutes les sciences disponibles, à l’instar de ce qui est pratiqué sur la Bible dans l’Église catholique (Cf. Abdelwahab Meddeb, Face à l’islam, éd. Textuel, 2004 ; Pari de civilisation, Seuil, 2009).

La position traditionnelle a été réaffirmée récemment par Ahmed El-Tayyeb, l’actuel grand imam d’El-Azhar, institution égyptienne qui jouit d’une large audience dans le monde sunnite. « La lecture historique ne peut s’accorder à l’esprit du Coran qui est un texte divin, absolu, valable pour tous les temps et tous les lieux » (Entretien au journal Le Temps, Genève, 22 janvier 2011).


 

PFV n° 38:

MAHOMET, LE « BEAU MODÈLE »

Malgré la « perfection divine » qui est reconnue au Coran, les musulmans n’y trouvent pas toujours des réponses précises à toutes les questions qui se présentent dans leur vie personnelle et communautaire. Ils disposent alors du complément fourni par la Sunna (Tradition « prophétique »), laquelle, dans l’ordre du sacré, est inséparable du Coran en raison de la prééminence de Mahomet dans l’islam. Les musulmans ont aussi à leur disposition la Sîra (« manières d’agir »), qui tient lieu de biographie officielle de Mahomet.

1- LA SUNNA

Ce terme s’applique aux paroles et aux actes, voire aux silences et aux regards, attribués à Mahomet en telle ou telle circonstance. Ils ont été rapportés par ses compagnons et sa famille, notamment ses épouses. Les milliers de récits qui en résultent sont les hadîth-s. Ils ont commencé à être collectés un siècle après la mort de Mahomet (632), avec mention du nom des témoins directs ou de ceux à qui ils ont été transmis oralement (les « chaînes de transmetteurs »), selon un processus qui s’est étalé durant plusieurs générations. Sur les six recueils canoniques de hadîth-s ainsi composés, deux jouissent d’une crédibilité supérieure aux autres : ce sont les hadîth-s sahîh (« authentiques ») de Boukhâri (810-870) et de Mouslim (817-875). Et parmi eux, il faut encore distinguer les hadîth-s qudsî (« saints »), équivalant à des dictées divines.

Inséparable du Coran, la Sunna lui apporte les compléments nécessaires à sa correcte compréhension, à la pratique cultuelle et à la mise en œuvre de la charia. Il arrive même qu’elle l’emporte sur l’autorité du texte coranique ou qu’elle pallie une lacune de ce dernier. Ainsi, la codification des cinq prières quotidiennes se trouve dans la Sunna et non dans le Coran. Il en va de même de la sanction pénale réservée à l’apostat, qui se fonde sur une sentence attribuée à Mahomet : « Celui qui quitte la religion, tuez-le ».

Le statut privilégié de la Sunna résulte de préceptes coraniques : « Obéir au Prophète, c’est obéir à Dieu » (4, 80), car Mahomet est « le beau modèle » (33, 21). Le prophète de l’islam lui-même a fait de sa conduite une norme obligatoire, selon un propos rapporté par ses compagnons : « Celui qui délaisse ma sunna, celui-là ne fait plus partie de ma communauté » (Cité par Asma Hilali, Dictionnaire du Coran, éd. Robert Laffont, 2007, p. 850).

2 – LA SÎRA

Sous le titre générique de Sîra sont rassemblées des « Chroniques du Prophète » issues de récits édifiants racontés par ses contemporains. La plus ancienne Sîra a été composée par Ibn Ishâq (m. 767). Remaniée ensuite par Ibn Hichâm (m. 834), elle est aujourd’hui encore réputée comme véridique dans l’islam. On notera que les expéditions militaires de Mahomet y tiennent une place importante. La Sîra est comme un guide : elle offre aux musulmans un réservoir de gestes à méditer et d’exemples à suivre.

CONCLUSION

Nonobstant les thèmes inoffensifs qu’ils contiennent, ces textes sacrés (Coran, Sunna, Sîra) justifient au nom de Dieu toutes formes de violence et de comportements considérés comme immoraux au regard de l’enseignement du christianisme. Appliqués à la lettre, ces passages sont susceptibles de mettre en péril la paix du monde, de briser l’harmonie des sociétés et de porter gravement atteinte à la dignité des personnes.

C’est ce que dénonçait de son vivant l’intellectuel français d’origine tunisienne, Abdelwahab Meddeb (m. 2014), lorsqu’il écrivait : « Je le répète encore une fois : le Coran porte dans sa lettre la violence, l’appel à la guerre. La recommandation de tuer les ennemis et les récalcitrants n’est pas une invention malveillante, elle est dans le texte même du Coran » (Face à l’islam, éd. Textuel, 2004, p. 145-146).

Devant ces évidences, un certain nombre de musulmans, y compris parmi les plus savants ou parmi ceux qui exercent des responsabilités importantes dans les domaines de la religion ou du droit, nient la légitimité de la violence ou sa conformité avec les textes sacrés dont ils connaissent évidemment le contenu. A chaque excès commis en référence au Coran ou à la Sunna, ils s’empressent de répéter que l’islam est une religion « de paix, de tolérance et d’amour ». Comment comprendre de telles attitudes si opposées à la réalité ? Certains de ces musulmans recourent sans doute à une forme de taqiya (dissimulation), attitude reconnue conforme à la religion, d’autant plus qu’elle a un fondement coranique (cf. Petite Feuille verte n° 33 – novembre 2015).

Dans l’appréhension de ce phénomène, il faut cependant tenir compte de ceux qui, dans l’islam, optent pour une pratique paisible de leur religion. On pense d’abord aux adeptes du soufisme, mouvement marginal et souvent combattu pour s’être éloigné de l’islam orthodoxe. Orientés vers une conception et une pratique mystiques de l’islam, les soufis répugnent en principe à la violence de type djihad belliqueux mais le caractère initiatique ou ésotérique de leurs confréries, où l’exaltation est promue, ne les met pas forcément à l’abri d’un certain fanatisme religieux.

Restent enfin les musulmans sincères qui, en conscience, déniant toute légitimité sacrée à la violence, fabriquent « leur » islam sans trop se poser de questions sur leurs Écritures sacrées. Il est difficile de mettre leur bonne foi en doute. Mais force est de constater que leurs bonnes dispositions sont jusqu’à présent demeurées impuissantes à s’imposer à l’Oumma.

Hormis quelques épisodes historiques éphémères ou des exemples individuels, rien ne pourra changer dans le rapport du monde musulman avec le reste de l’humanité tant que persisteront les dogmes du Coran incréé et de l’exemplarité de Mahomet, qui empêchent par là même la possibilité d’un magistère humain authentique, fondé sur l’autonomie de la raison et soucieux de libérer les musulmans de leur enfermement.

Annie Laurent

Déléguée générale de CLARIFIER

alaurent@associationclarifier.fr


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