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Du 10 au 24 octobre 2010, s’est tenu à Rome un Synode spécial des Evêques consacré au Moyen-Orient.

La question des rapports des chrétiens orientaux avec l’islam, religion dominante dans cette région comme on le sait, a occupé une grande place dans tout le déroulement du processus synodal. Figurant dans les documents préparatoires, elle a été présente dans les débats et les esprits durant l’assemblée et on la retrouve dans les textes adoptés par vote par les Pères synodaux : le message final et les propositions remises au Saint-Père, au terme des deux semaines de travaux. Mais avant d’examiner la manière dont le sujet a été traité, il convient de donner un aperçu général de cet événement qui se voulait avant tout ecclésial.

C’est le 19 septembre 2009 que le pape Benoît XVI a annoncé la convocation de cette assemblée spéciale.

Par cette initiative, qui répondait à une demande pressante des patriarches catholiques, il entendait manifester la sollicitude du pasteur universel pour ses fidèles du Moyen-Orient, à l’heure où ceux-ci subissent des épreuves si considérables et connaissent un déclin démographique si important que l’avenir du christianisme dans son berceau d’origine s’en trouve menacé plus que jamais. L’exode atteint, en effet, des proportions alarmantes. Face à l’incertitude qui pèse sur leur existence en tant que baptisés, les chrétiens cèdent facilement à la tentation d’émigrer quand ils ne sont pas brutalement chassés de chez eux, comme c’est le cas en Irak depuis l’invasion américaine de ce pays en 2003.

 

Confrontée à cette situation, l’Eglise catholique met sa diplomatie au service de la justice dans cette région marquée par tant de conflits. Pour elle, la paix fondée sur le respect des droits légitimes de tous les peuples concernés devrait offrir aux chrétiens la sécurité qui les encouragera à demeurer dans leurs patries. Mais le rôle de l’Eglise ne concerne pas que la géopolitique ; il est surtout pastoral.

C’est donc cette voie qui a été privilégiée lors du Synode dont les buts étaient clairement énoncés dans son intitulé :

 L’Eglise catholique au Moyen-Orient : communion et témoignage. ²La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme² (Ac 4, 32) ». Il s’agissait en priorité, comme l’indiquait l’Instrumentum laboris (l’instrument de travail), de « raviver la communion entre les vénérables Eglises orientales catholiques sui iuris (de droit particulier) afin qu’elles puissent offrir un témoignage de vie chrétienne authentique, joyeuse, attirante .

Cette communion ad intra concerne les liens entre les catholiques relevant des six rites orientaux (maronite, melkite, copte, chaldéen, arménien, syrien) et du rite latin, lequel est présent au Proche-Orient depuis les Croisades. Elle est une condition indispensable à la communion ad extra, qui se cherche à travers le dialogue avec les autres chrétiens encore séparés du Siège de Pierre. Enfin, elle seule peut rendre crédible et efficace le message de l’Evangile auprès des juifs et des musulmans.

Benoît XVI a rappelé ces impératifs dans son homélie de la messe d’ouverture du Synode en la basilique Saint-Pierre, le 10 octobre :

Sans communion, il ne peut pas y avoir de témoignage : le grand témoignage est précisément la vie de la communion ». On comprend alors pourquoi l’Instrumentum laboris insistait sur ce point : « L’Assemblée synodale devrait confirmer à la conscience des fidèles du Moyen-Orient leur vocation en tant que disciples de Jésus-Christ sur la terre où il est né, où il a vécu, où il a prêché et où il a accompli son mystère pascal .

La zone concernée par le Synode dépassait largement ces limites géographiques. Grosso modo, elle recouvrait le périmètre marqué par l’histoire biblique, lequel se trouve découpé en dix-sept entités politiques, soit douze Etats arabes (Arabie-Séoudite, Bahreïn, Egypte, Emirats Arabes Unis, Irak, Jordanie, Koweït, Liban, Oman, Qatar, Syrie, Yémen), auxquels s’ajoutent Jérusalem et les Territoires palestiniens, ainsi que l’Iran, la Turquie, Chypre et Israël. Environ 360 millions d’habitants vivent sur ces territoires. Le nombre de chrétiens y est estimé à 20 millions de personnes (5, 62 % de la population totale) parmi lesquels 5 707 000 catholiques dont plus de la moitié sont des immigrés provenant de pays asiatiques (Inde, Philippines, Sri-Lanka, etc.) ou africains (Ethiopie, Soudan, Erythrée, etc.).

L’ensemble de ces catholiques étaient représentés par 185 Pères synodaux (patriarches, archevêques, évêques, religieux) parmi lesquels 19 cardinaux, 14 chefs de dicastères de la curie romaine et 23 ordinaires de la diaspora. Ont également participé au Synode 36 experts et 34 auditeurs ainsi que 13 délégués fraternels appartenant à 13 Eglises et communautés ecclésiales. Un rabbin et deux représentants de l’islam sunnite et chiite ont enfin été invités à s’adresser aux Pères synodaux dans l’aula (salle du Synode) mais sans prendre part aux travaux. Ils n’étaient d’ailleurs sur place que le jour de leurs interventions. Mais cela leur a suffi à prendre la mesure de la liberté de ton qui prévalait dans les propos des Pères synodaux lors des congrégations générales.

Selon le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux et comme tel Père synodal, les deux dignitaires musulmans lui ont d’ailleurs fait part de leur étonnement à ce sujet. Il est exact que la liberté a caractérisé les courtes interventions publiques, préparées à l’avance comme le veut le règlement, mais également les propos spontanés tenus lors des séances de « débats libres », ainsi que les échanges au sein des circuli minores (carrefours restreints). Composées de Pères synodaux, d’auditeurs et d’experts, ces équipes de travail étaient chargées d’élaborer les documents qui furent ensuite soumis au vote de l’Assemblée. L’un des Pères synodaux, Mgr Youhanna Golta, évêque auxiliaire du patriarcat copte-catholique d’Alexandrie, a par la suite relevé « la grande différence entre la liberté dans le monde européen et dans le monde musulman » (1).

 Voyons maintenant ce qui a été dit au sujet de l’islam.

Il est vrai que les textes fondateurs de ce dernier n’ont pas été soumis à un examen critique, tant dans leur dimension religieuse que dans leur dimension socio-politique dont on sait combien les deux sont intimement liées. Autrement dit, l’islam en tant que tel n’a pas été remis en cause.

Dans l’intervention qu’il a prononcée en Congrégation générale, le cardinal Tauran a même été, de façon surprenante, jusqu’à exclure toute responsabilité des religions dans les conflits régionaux, sous-entendant que leur cause n’était que politique, et mettant cette affirmation en relation avec la présence dans l’aula de représentants du judaïsme et de l’islam.

Sans aucun rapport avec ces propos, un auditeur laïc, Harès Chehab (maronite), membre du Comité national libanais de dialogue islamo-chrétien, a cependant pour sa part relevé que les problèmes des chrétiens au Proche-Orient et l’émigration qui en résulte n’ont pas commencé avec le conflit israélo-palestinien et, sauf quelques exceptions, n’ont rien à voir avec l’indigence ou le chômage, comme on l’affirme souvent, mais que ces problèmes durent depuis l’arrivée de l’Islam au VIIème siècle.

Cet exode ne peut en aucune manière être attribué à des motifs d’ordre purement économique, sinon toute la région aurait été dépeuplée, et il est évident que la discrimination, la persécution dans certains endroits, la peur dans d’autres, l’absence de liberté, l’inégalité des droits, sont à la base de ce mouvement .

Nous reviendrons plus loin sur cette prise de position.

Pour l’essentiel, ce sont les manifestations concrètes du système islamique dans leurs aspects préjudiciables aux chrétiens qui ont été évoquées et elles l’ont été assez fréquemment. Dans son rapport préliminaire, le patriarche Antonios Naguib, chef des coptes-catholiques, qui était rapporteur général du Synode (il a depuis lors été créé cardinal), a déclaré à ce sujet :  A partir des années 1970, nous constatons dans la région la montée de l’Islam politique, qui comprend différents courants religieux. Il affecte la situation des chrétiens, surtout dans le monde arabe. Il veut imposer un mode de vie islamique à tous les citoyens, quelquefois par la violence. Il constitue donc une menace pour tous .

A sa suite, un nombre non négligeable de Pères synodaux et d’auditeurs ont choisi cette délicate question comme sujet de leurs interventions orales lors des congrégations générales. Ils ont décrit sans dissimulation ni atténuation les difficultés de vivre comme chrétiens dans des sociétés majoritairement musulmanes et témoigné de l’inquiétude de leurs fidèles face à la poussée de l’Islam politique et à la réislamisation des mœurs.

Ainsi, Mgr Basile Casmoussa, archevêque des syriens-catholiques de Mossoul, a déploré « l’accusation injuste contre les chrétiens d’être des troupes louées ou menées par et pour l’Occident soi-disant chrétien, et ainsi considérés comme un corps parasite à la nation ». Et de poursuivre :

Présents et actifs ici, bien avant l’Islam, ils se sentent indésirables sur leur propre terre, qui devient de plus en plus une ²Dar el-Islam² (Maison de l’Islam) réservée (…). Voilà le chrétien oriental en pays d’Islam condamné soit à la disparition, soit à l’exil. Ce qui se passe aujourd’hui en Irak nous fait penser à ce qui s’est passé en Turquie durant la Première Guerre mondiale. C’est alarmant ! .

Seule voix discordante : celle du patriarche des chaldéens, le cardinal Emmanuel III Delly, dont le siège se trouve à Bagdad. Sa déclaration complaisante a tranché sur l’ensemble. Le prélat irakien a estimé « un peu exagérée » la description faite par ailleurs, considérant pour sa part que la vie des chrétiens dans son pays se déroule dans la paix et la liberté. Mais il est loin de faire l’unanimité au sein de son Eglise et de la Conférence épiscopale d’Irak, laquelle regroupe les évêques de tous les rites présents sur la terre d’Abraham.

Deux thèmes principaux, en rapport indirect ou implicite avec l’Islam, ont émergé des travaux du Synode :

  •  l’égalité entre chrétiens et musulmans ressortissants d’un même pays ;
  •   la liberté religieuse. Ces deux thèmes sont d’ailleurs étroitement liés l’un à l’autre.

 1/ L’égalité.

Sur ce point, plusieurs Pères synodaux ont regretté l’état de dhimmitude qui frappe encore les chrétiens, sans toutefois prononcer ce mot.

  • Ainsi, pour Mgr Flavien Melki, évêque de l’Eglise syrienne-catholique, venu de Beyrouth, « mis à part le Liban, les chrétiens du Moyen-Orient sont depuis quatorze siècles soumis à des formes de persécutions multiples, de massacres, de discriminations, d’exactions et d’humiliations ».
  • Mgr Joseph Kallas, archevêque melkite de Beyrouth, a évoqué « le choc et la suprématie de l’islam » ainsi que les « lois de ségrégation plus ou moins oppressives » subies par les chrétiens. Pour sa part, dans un entretien à Radio-Vatican,
  • Mgr Louis Sako, archevêque chaldéen de Kirkouk (Irak), a déclaré :  Nous étions sur cette terre avant l’arrivée des musulmans, nous les avons accueillis. Nous ne voulons pas être considérés comme une minorité, ni même comme une catégorie ²protégée². La loi doit protéger tout le monde à égalité » (2). Notons à ce propos que l’Instrumentum laboris avait tenu à rappeler que « les chrétiens sont des citoyens ²indigènes² et qu’ils appartiennent donc de plein droit au tissu social et à l’identité même de leurs pays respectifs ».

Le Synode a aussi été l’occasion d’une prise de conscience du traitement souvent inhumain infligé aux travailleurs catholiques dans les pays de la péninsule Arabique.

  • Les deux vicaires apostoliques latins chargés de ces communautés, Mgrs Paul Hinder, pour l’Arabie (il réside dans les Emirats du Golfe) et Camillo Ballin, pour le Koweït, ont dressé un état des lieux pathétique.
  • Quant à Mgr Berhaneyesus Souraphiel, archevêque catholique oriental d’Addis-Abeba (Ethiopie), il a qualifié d’ « esclavage moderne » la situation de ses compatriotes résidant en Arabie.

Afin de faciliter leurs voyages, les chrétiens transforment leurs noms chrétiens en noms musulmans et s’habillent comme les musulmans de manière à ce que leur demande de visa puisse aboutir plus facilement. De cette façon, les chrétiens sont indirectement forcés à renier leurs racines chrétiennes et leur héritage .

Pour remédier à ces injustices, les documents préparatoires (Lineamenta et Instrumentum laboris) préconisaient l’instauration d’une « laïcité positive », proposition reprise dans le rapport préliminaire de Mgr Naguib.

Mais ce concept de laïcité, positive ou pas, a suscité une allergie palpable au sein du Synode qui l’a écarté comme inapplicable aux sociétés du Moyen-Orient et ceci pour deux raisons.

  • D’abord, parce que le monde musulman ne semble pas prêt à renoncer à sa conception classique concernant la politique, laquelle se fonde sur la confusion des pouvoirs temporel et spirituel. Il en résulte que seuls des musulmans peuvent, en principe, participer aux affaires publiques et jouir de la plénitude des droits attachés à la nationalité.

Cette doctrine est à l’origine de l’organisation confessionnelle des sociétés du Moyen-Orient. En l’état actuel, le maintien de ce système permet aux chrétiens de conserver leur identité propre et, dans le meilleur des cas, leur épargne la soumission à la charia (loi islamique), ce qui n’est cependant pas garanti, comme l’a laissé sous-entendre le patriarche Naguib dans ce même rapport : « L’égalité des citoyens est affirmée dans toutes les Constitutions. Mais, dans les Etats à majorité musulmane, à part quelques exceptions, l’islam est la religion d’Etat et la charia est la source principale de la législation.Pour le statut personnel, quelques pays accordent aux non-musulmans des statuts particuliers et reconnaissent leurs tribunaux dans ce domaine. D’autres confient aux tribunaux ordinaires l’application des statuts particuliers des non-musulmans ».

Le patriarche aurait pu souligner que, dans ce dernier cas, lorsqu’ils ignorent le droit de l’Eglise, ce qui est fréquent, les magistrats statuent sur la base du droit musulman, lésant ainsi les chrétiens.

On comprend dès lors que la laïcité à l’occidentale ne soit pas transposable au Moyen-Orient, du moins dans le contexte actuel.

Les chrétiens de cette région savent en outre que la majorité des musulmans voient cette conception de la laïcité comme une forme déguisée d’athéisme, portant des valeurs détestables pour eux comme l’impiété, l’individualisme, l’hédonisme ou le matérialisme. Cela explique la crainte des Pères synodaux qu’un tel système n’engendre la sécularisation et la perte de l’esprit religieux. C’est pourquoi ils ont exhorté leurs fidèles à ne pas imiter la modernité occidentale dans ce qu’elle a de plus mauvais.

Les chrétiens ne peuvent cependant pas renoncer à réclamer un traitement égalitaire en matière de droits et de devoirs.

  • Le second rapport du patriarche Naguib, rédigé sur la base des réflexions des groupes de travail, s’est fait l’écho de cette demande en retenant le concept d’ « Etat civique ».

De quoi s’agit-il ?

« L’Etat civique désigne un système sociopolitique basé sur le respect de l’homme et de sa liberté, sur les droits qui lui sont inhérents de par sa nature humaine, sur l’égalité et la citoyenneté complètes (…). Ce système distingue entre l’ordre civil et l’ordre religieux, sans domination de l’un sur l’autre et dans le respect de l’autonomie de chacun. La religion ne doit pas être politisée ni l’Etat se prévaloir de la religion ».

2/ La liberté religieuse.

Ce thème est revenu de manière récurrente durant toute la durée du Synode. Dans son rapport préliminaire, Mgr Naguib s’est voulu insistant à cet égard :

 La liberté de culte n’est qu’un aspect de la liberté religieuse. Dans la plupart de nos pays, elle est garantie par les constitutions. Mais même là, dans quelques pays, certaines lois ou pratiques en limitent l’application. L’autre aspect est la liberté de conscience, basée sur le libre choix de la personne. Son absence entrave le choix libre de ceux qui auraient voulu adhérer à l’Evangile, qui craignent aussi des mesures de vexation pour eux-mêmes et pour leurs familles. La liberté religieuse ne peut exister et se développer que dans la mesure de la croissance du respect des droits de l’homme dans leur totalité et leur intégralité .

Ce texte montre que l’on n’est pas resté dans le flou, puisque l’absence de liberté de conscience y est nettement mentionnée. Cela signifie que la liberté religieuse n’implique pas seulement le droit pour les chrétiens de pratiquer leur culte sans aucune entrave mais laisse à l’Eglise toute liberté pour accomplir sa mission, qui est d’annoncer le salut offert par le Christ et l’Evangile. Il s’agit là d’un aspect trop souvent ignoré lorsqu’on évoque la liberté religieuse dans les pays à majorité musulmane.

Le respect de cette liberté et ses exigences ont été fermement posés par Mgr Cyrille Bustros, archevêque des melkites de Newton (Etats-Unis) dans son intervention en congrégation générale : « Les musulmans répètent à qui veut les entendre : ² L’islam est la religion de la tolérance². Et ils fondent ce slogan sur la fameuse phrase du Coran : ²Pas de contrainte en matière de religion² (2, 256) #.

D’un côté, et en principe, l’affirmation de la tolérance est claire dans le Coran. Mais de l’autre côté, et en fait, les lois de tous les pays arabes, sauf le Liban où il est permis de changer de religion, menacent de mort tout musulman qui se convertit à une autre religion.

Nous demandons ici : où se trouve la tolérance ?

Comment concilier la tolérance de principe claire dans le Coran avec la menace de mort posée comme l’épée de Damoclès au-dessus de la tête de tout musulman qui oserait penser à changer de religion ? (…) Le respect de la conscience de chaque individu est le signe de la reconnaissance de la dignité de la personne humaine .

A propos de tolérance, comment ne pas citer ici une parole fort pertinente émise par le cardinal Tauran lors d’une soirée offerte par l’ambassadeur de Turquie près le Saint-Siège à l’occasion des cinquante ans de relations diplomatiques entre les deux Etats ? Invité à s’exprimer après le diplomate qui, présentant le spectacle de derviches tourneurs qui allait suivre, faisait l’éloge de l’islam comme religion de tolérance, le président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux fit remarquer : « Plutôt que de tolérance, nous préférons parler d’amour. Si j’ai une sœur, je préfère l’aimer que la tolérer ». Les derviches ne se privèrent pour autant pas de psalmodier en arabe des versets coraniques condamnant la doctrine chrétienne de la Trinité et de la divinité du Christ !

Dans l’homélie prononcée lors de la messe de clôture du Synode, célébrée le 24 octobre, Benoît XVI s’est fait l’écho de l’attente des chrétiens en la matière.

 Une autre contribution que les chrétiens peuvent apporter à la société est la promotion d’une authentique liberté religieuse et de conscience, un des droits fondamentaux de la personne humaine que tout État devrait toujours respecter. Dans de nombreux pays du Moyen-Orient, la liberté de culte existe, alors que l’espace de la liberté religieuse est souvent très limité. Élargir cet espace de liberté devient un besoin afin de garantir, à tous ceux qui appartiennent aux différentes communautés religieuses, la véritable liberté de vivre et de professer leur propre foi. Un tel argument pourrait faire l’objet d’un dialogue entre les chrétiens et les musulmans, un dialogue dont l’urgence et l’utilité ont été réaffirmées par les Pères synodaux .

 Du dialogue interreligieux avec les musulmans,

il a effectivement été souvent question. Le bienfondé de cette démarche n’a été remis en cause par aucun des participants, certains d’entre eux s’efforçant même d’en montrer les résultats positifs malgré bien des évidences contraires. Quelques-uns ont cependant considéré qu’une plus grande clarté devait désormais prévaloir dans la rencontre avec les musulmans.

Pour le patriarche des syriens-catholiques, Ignace III Younan, le temps est venu d’adopter une autre méthode. Il y a eu jusqu’à présent, nous a-t-il confié, trop de « double langage » chez les ecclésiastiques orientaux. Il faut maintenant que les chrétiens osent dire la vérité aux musulmans sur ce qui les dérange ou les fait souffrir. Au « dialogue-spectacle » des grands colloques entre spécialistes où l’on ne parle que de ce qui fait plaisir à l’autre, le prélat préfère la rencontre individuelle qui se prête mieux, selon lui, à une démarche franche et claire.

Cette position rejoint celle de Harès Chehab telle qu’il l’a exprimée dans l’aula.

Son intervention mérite d’être largement citée.

Toute question relative à l’avenir des chrétiens dans notre région nous amène à nous pencher sur un certain nombre de questions qui lui sont intimement liées, à commencer par le dialogue interreligieux : où en est-il et quels sont ses horizons ? Qu’en est-il de la relation entre la Religion et l’Etat ou, en d’autres termes, entre le spirituel et le temporel, la laïcité, l’extrémisme, le fondamentalisme et le terrorisme ? Tant de sujets qui sont étalés régulièrement dans les médias. Malheureusement, les colloques et multiples conférences qui traitent du dialogue islamo-chrétien, du succès duquel dépend en grande partie la pérennité de la présence active chrétienne dans notre région, n’accorde pas la place primordiale que ces sujets méritent, se contentant de mettre l’accent sur les points de convergence, certes utiles, mais l’occultation de ces problèmes, ou, dans la meilleure des hypothèses, leur approche timide, n’ont pas beaucoup fait avancer notre cause. Bien au contraire. Les acquis obtenus demeurent fragiles et s’estompent dès la première difficulté sérieuse. Et c’est ainsi que le fossé se creuse de plus en plus entre les tables de conférence sur le dialogue et le vécu au quotidien, et que la littérature utilisée et la convergence sur certains points ne reçoivent pas une application pratique. C’est pour cela que ce style devrait dorénavant céder la place à une autre forme d’où sera banni le langage de complaisance, pour se concentrer surtout sur la vérité, quelque dure qu’elle soit, mais avec amour et sincérité, ayant pour souci de sensibiliser le musulman à prendre conscience de la réalité de nos problèmes, et ceci dans l’intérêt de tous .

 Comment les deux invités musulmans ont-il abordé ces sujets délicats ?

Notons tout d’abord que l’un et l’autre sont des habitués des rencontres avec les autorités du christianisme. Tous deux ont fait assaut de bonnes intentions.

  • Pour l’ayatollah Mostafa Mohaghegh Ahmadabadi, chiite iranien, professeur de droit à l’Université de Téhéran, il faut « considérer les autres cultures avec compréhension, respect et solidarité » car la stabilité au Moyen-Orient « ne pourra être réalisée que lorsque tout le monde pourra vivre sans peur et sans être menacé par les autres ». Et d’ajouter : « Il est de notre devoir d’assurer de telles conditions ». Cependant, au vu de la réalité, comment ne pas accueillir avec la plus grande perplexité cette autre phrase : « Selon les enseignements du Coran, dans la plupart des pays islamiques, notamment en Iran (…) les chrétiens jouissent de tous les droits juridiques comme les autres citoyens et exercent librement leurs pratiques religieuses ».

 

  • Le discours de Mohamed Sammak, laïc sunnite libanais, conseiller politique du grand mufti de son pays, a été plus réaliste puisqu’il a admis que des chrétiens sont pris pour cibles en raison de leur religion et que la convocation de ce Synode était le signe que leur situation n’est pas bonne. Mais pouvait-on le suivre lorsqu’il a déclaré que ces violences sont « un phénomène étranger à l’Orient et qui plus est en contradiction avec nos cultures religieuses » ? Ou encore lorsqu’en invitant ses coreligionnaires à accepter le pluralisme religieux, il a affirmé que cela résulte de la « volonté de Dieu » exprimée dans le Coran ? Certes, un verset énonce que « si Dieu l’avait voulu, il aurait fait des hommes une seule communauté de croyants » (10, 99), mais combien d’autres versets condamnent sans pitié ceux qui ne se reconnaissent pas musulmans et n’en professent pas le dogme, et combien d’autres encore invitent le musulman à les combattre, les tuer, les humilier ?

Il n’est pas dans notre intention de mettre en doute la sincérité et la bonne volonté de ces personnalités, et pourtant peut-on réellement croire qu’elles ignorent les enseignements du Coran qui légitiment les actes anti-chrétiens ? Cela dit, on aurait bien aimé débattre directement et librement de ces questions avec les invités, mais le règlement du Synode ne prévoit pas de tels échanges. Quoi qu’il en soit, ces exemples montrent bien la difficulté qu’il y a à dialoguer avec les musulmans dans la mesure où ils ne disposent pas d’un Magistère authentique et unique, et que se pose dès lors le problème de leur représentativité.

Parmi les Pères synodaux, il s’en est trouvé un, le seul, qui a cependant tenu à mettre en évidence ce qui, dans le Coran, sert à justifier les inégalités entre les hommes.

Il s’agit d’un archevêque libanais, Mgr Raboula Antoine Beylouni, membre de l’Eglise syrienne-catholique. Mais il n’a pas lu son texte publiquement, préférant le remettre à la secrétairerie générale du Synode selon la forme « in scriptis ». Cependant, le résumé qui a été publié dans les organes d’informations officiels du Vatican s’est retrouvé amputé des passages dans lesquels son auteur exposait quelques principes coraniques qui compliquent la coexistence avec les musulmans (3).

Voici un choix des paragraphes supprimés : « Le Coran inculque au musulman la fierté d’avoir la seule religion vraie et complète, religion enseignée par le plus grand prophète, car il est le dernier venu. Le musulman fait partie de la nation privilégiée, et parle la langue de Dieu, la langue du Paradis, la langue arabe. C’est pourquoi il vient au dialogue avec cette supériorité et avec l’assurance d’être victorieux. Le Coran, supposé écrit par Dieu lui-même d’un bout à l’autre, donne la même valeur à tout ce qui y est écrit : le dogme comme n’importe quelle loi ou pratique ».

Concernant les rapports avec les chrétiens, Mgr Beylouni note ce qui suit :

 Dans le Coran, il y a des versets contradictoires et des versets annulés par d’autres, ce qui donne au musulman la possibilité d’utiliser l’un ou l’autre selon son avantage et ainsi il peut dire du chrétien qu’il est humble et pieux et croyant en Dieu, comme il peut le traiter d’impie, d’apostat et d’idolâtre. Le Coran donne au musulman le droit de juger les chrétiens et de les tuer par le djihad (guerre sainte). Il ordonne d’imposer la religion par la force, par l’épée .

Et l’archevêque adresse un reproche à ceux des clercs

qui, dans le dialogue, pour gagner la sympathie du musulman, appellent Mahomet prophète et ajoutent l’invocation musulmane connue et toujours répétée : ² Que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui.

Cela dit, Mgr Beylouni n’a pas voulu discréditer le dialogue mais, comme il le précise au début de son document, « attirer l’attention sur les points qui rendent ces rencontres ou dialogues difficiles et souvent privés d’effectivité ».

Le diagnostic des maux dont souffrent les chrétiens en pays d’Islam une fois posé, les Pères synodaux ont retenu un certain nombre de dispositions destinées à relever ce défi existentiel.

  • L’accent a été mis sur la nécessité d’une formation doctrinale et spirituelle de qualité à tous les niveaux (catéchisme, familles, mouvements apostoliques, séminaires) afin d’aider les fidèles à sortir du cadre simplement sociologique de leur identité religieuse, qui caractérise encore trop souvent les communautés chrétiennes du Proche-Orient, et à prendre conscience des exigences de leur vocation baptismale, exigences qui incluent la perspective de la Croix, comme cela a été souligné dans le Message final.

 

  • Les Pères synodaux ont aussi rejeté l’option du repli communautariste, attitude qui a été vivement critiquée par Mgr Jean-Benjamin Sleiman, archevêque des latins de Bagdad.

Ayant toutefois admis que « les racines de ce phénomène plongent dans les structures arabo-islamiques primitives », il a invité les chrétiens à « se dégager de cet héritage historique pour retrouver le modèle de la communauté de Jérusalem ». Il faisait ainsi écho au programme suggéré par la devise synodale choisie pour illustrer le sens de cette Assemblée : « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32).

Au nom de tous les catholiques, les responsables des Eglises ont exprimé leur volonté d’œuvrer pour le bien commun de leurs sociétés dans une collaboration loyale avec leurs compatriotes musulmans. Ils ont supplié les gouvernements des pays concernés d’accepter cette offre, tout en soulignant que cette collaboration ne peut produire de bons fruits que si elle est fondée sur l’égalité de tous.

Cela ressort nettement du Message final :

« Nous disons à nos concitoyens musulmans : nous sommes frères et Dieu nous veut ensemble, unis dans la foi en Dieu et par le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain. Ensemble, nous construirons nos sociétés civiles sur la citoyenneté, la liberté religieuse et la liberté de conscience. (…) Notre responsabilité est commune dans la construction de nos patries ». Il y a dans cette disponibilité et la gratuité qu’elle implique une forme d’héroïsme vraiment admirable, il faut bien le reconnaître, étant donné le contexte.

 Les demandes du Synode seront -elles entendues?

« Les demandes du Synode seront-elles entendues ? », avons-nous demandé à Mgr Sleiman avant de quitter Rome. Pour lui, « les Etats musulmans ne feront rien contre la charia, mais ils ne pourront pas toutefois ne pas enregistrer cette position claire des chrétiens d’Orient car leur ignorance de la charte des droits de l’homme aura des conséquences négatives sur tous leurs citoyens, musulmans ou autres » (4).

Une semaine après la fin du Synode, le 31 octobre, une assemblée de fidèles catholiques réunis dans la cathédrale syrienne Notre-Dame de la Délivrance, située au centre de Bagdad, a été la cible d’une attaque très meurtrière (58 tués, dont deux prêtres).

Certains y ont vu une réponse aux évêques qui venaient de supplier leurs fidèles de rester dans leurs pays pour y témoigner de leur foi et y mettre les vertus évangéliques au service de tous.

 Faut-il conclure sur cette note pessimiste ?

Préférons peut-être l’espérance sur la base d’une certitude émise par Benoît XVI dans une méditation impressionnante qu’il a donnée aux participants au Synode lors de l’office de Tierce célébré en ouverture de la première congrégation générale, le 11 octobre donc.

Commentant le Psaume 81 (v. 6-7) et sa vision prophétique relative à la chute inéluctable des faux dieux « qui réduisent l’homme en esclavage » et dont le « pouvoir destructeur menace le monde » (capitaux sauvages, drogue, idéologies), le pape a dit :

« Pensons ensuite au pouvoir des idéologies terroristes. La violence est apparemment pratiquée au nom de Dieu, mais ce n’est pas Dieu : ce sont de fausses divinités qui doivent être démasquées, qui ne sont pas Dieu » (5).

Difficile de ne pas y voir une allusion à certaines méthodes propres à l’islam qui, si l’on suit le Saint-Père, sont donc vouées à l’échec.

 

ANNIE LAURENT,

NOMMÉE PAR BENOÎT XVI EXPERTE AU SYNODE SPÉCIAL DES EVÊQUES

POUR LE MOYEN-ORIENT.

Article paru dans Sedes Sapientiae, n° 115, printemps 2011

(1) L’Homme nouveau, n° 1485, 15 janvier 2011.

(2) La Croix, 11 octobre 2010.

(3) Le règlement du Synode demande aux intervenants de remettre à la secrétairerie générale leur texte intégral ainsi qu’un résumé destiné à la publication. Si l’auteur ne fournit pas ce résumé, c’est l’équipe chargée de la rédaction du Bulletin de la Salle de presse du Saint-Siège, responsable de la publication, qui fournit le résumé des interventions aux autres médias vaticanais (L’Osservatore Romano, Radio-Vatican, Site internet du Vatican, etc.), le texte initial restant dans les archives de la secrétairerie générale. Yves Chiron, qui a découvert l’intégralité de ce document sur Infocatho, le site officiel d’informations de la Conférence épiscopale française, et l’a reproduit dans son bulletin, assure qu’il a été censuré par la Secrétairerie d’Etat du Vatican. Cf. Aletheia, n° 161, 27 octobre 2010.

(4) Entretien à La Nef, novembre 2010.

(5) On peut lire cette méditation dans L’Osservatore Romano, éd. française, 12 octobre 2010.