Print Friendly, PDF & Email

Alors que le nombre des musulmans s’accroît dans le monde du travail en Occident, il convient de s’interroger sur les enseignements de l’islam relatifs au labeur humain et sur les comportements qui peuvent en découler. Pour bien saisir l’approche spécifique de l’islam sur ces questions, un regard sur la place de l’homme dans l’univers créé est d’abord nécessaire. Nous pourrons ensuite aborder les problèmes concrets susceptibles de se poser, notamment dans l’entreprise, et proposer une attitude appropriée.

Dans le Coran

Dieu informe les anges de son projet de créer l’homme pour en faire son « lieutenant » (ou calife) sur la terre (2, 30), sans toutefois préciser les responsabilités attachées à cette lieutenance.

Les hommes (musulmans par nature) sont invités à prendre acte avec gratitude de tout ce qui compose la nature dont les divers éléments (géologie, animaux, végétaux, climat) sont décrits dans plusieurs dizaines de versets dispersés sans ordre.

Cependant, tout en plaçant l’homme au-dessus de toutes les autres créatures (17, 70), Dieu ne l’habilite pas à donner un nom aux êtres qui lui sont inférieurs, prérogative qu’Il se réserve. « Il [Dieu] apprit à Adam le nom de tous les êtres » (2, 31). Il y a là une différence notable avec la précision apportée par le récit biblique de la création où Dieu laisse à l’homme la liberté de désigner lui-même toutes les autres créatures (cf. Gn 2, 19). Or, nommer revient à participer à la création.

  • Cette différence illustre une réalité aux conséquences considérables.

Dans l’islam

Dieu s’affirme le créateur tout en se réservant l’exclusivité absolue de la toute-puissance créatrice.

Contrairement à ce qu’enseigne la Bible, où Dieu invite l’homme à soumettre et à féconder la terre (cf. Gn 1, 28 ; 2, 15), et ceci avant le péché donc sans lien avec lui, le Dieu du Coran peut seul la faire fructifier, l’homme étant seulement invité à gérer les biens, gestion qui passe par le travail, bien entendu.

Tout comme le Dieu de l’islam ne partage aucun de ses attributs avec l’homme (celui-ci, contrairement à ce qu’indique la Bible, n’est pas créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, cf. Gn 1, 27), Il ne lui délègue aucune aptitude propre à la créativité, à l’inventivité et finalement au développement et au progrès.

  • L’homme n’a donc pas la capacité de maîtriser la nature et de la rendre féconde, et la croissance n’apparaît jamais comme le fruit du labeur humain mais comme le résultat de la volonté divine.

Cela est illustré de manière éloquente dans le passage coranique suivant : « Avez-vous considéré ce que vous cultivez ? Est-ce vous qui ensemencez ou est-ce Nous ? Si Nous le voulions, Nous le rendrions sec, cassant et vous en seriez tout ébahis, disant : nous voilà pénalisés ! […] Avez-vous considéré l’eau que vous buvez ? Est-ce vous qui l’avez fait descendre des nuages ou est-ce Nous ? Si Nous l’avions voulu, Nous aurions fait une eau imbuvable. […] Avez-vous considéré le feu que vous obtenez par frottement ? Est-ce vous qui avez fait croître l’arbre qu’il utilise, ou bien est-ce Nous ? » (56, 63-72).

La Cause première prend toute la place, au détriment des causes secondes. Quant à la pénibilité du travail, dans la vision musulmane, elle ne résulte pas du péché originel, ce dernier étant ignoré par le Coran, mais de la volonté souveraine et inscrutable de Dieu.

  • De l’absence de partenariat entre Dieu et l’homme résulte sans doute la passivité, voire le fatalisme, propres aux sociétés musulmanes, comportements que l’on observe dans tous les domaines, de la pratique religieuse à l’activité économique.

A quoi bon s’ingénier à améliorer les conditions de la vie si tout dépend de l’unique pouvoir de Dieu, comme le suggèrent tant de versets coraniques relatifs à la prédestination qui limitent la liberté et la responsabilité de l’homme (cf. par exemple 6, 125 ; 74, 31) ?

Cette spécificité est synthétisée par la fameuse formule Inch’Allah (si Dieu le veut !) que tout musulman doit prononcer lorsqu’il fait le moindre projet (18, 23).

  • Des musulmans assurent que le Coran a tout prévu en matière d’innovation technique (téléphone, avions, etc.), ce qui n’apparaît pas dans le texte, et pour cause.

En outre, les rapports publiés ces dernières années par les organismes internationaux font ressortir le retard du monde islamique en matière de développement intellectuel et scientifique par rapport à toutes les autres cultures du monde.

La crise qui en résulte tient à cette inertie structurelle, source de frustrations dont la gravité augmente avec les énormes avancées de la science contemporaine et la mondialisation qui accentue ce décalage.

Si la doctrine islamique n’engage pas l’homme à développer ses talents créatifs (on ne trouve pas dans le Coran l’équivalent de la parabole évangélique des talents), il reste que les musulmans travaillent, ne serait-ce que pour gagner leur pain et nourrir leur famille. Il s’agit là d’une nécessité évidente, propre à la condition humaine.

La paresse et l’oisiveté sont d’ailleurs désapprouvées.

Les attitudes

Comment comprendre alors la tendance au perfectionnisme de certains cadres musulmans dans l’entreprise ? Cette attitude peut répondre d’abord à un besoin de s’affirmer dans un rapport de domination envers les subordonnés, ce qui correspond bien à la mentalité islamique où l’un domine tandis que l’autre se soumet.

D’où la docilité et l’endurance des travailleurs affectés à des tâches d’exécution et la dureté, le manque de miséricorde, de ceux qui détiennent les postes de commandement. Cela peut s’expliquer aussi par la difficulté à prendre des décisions qui ne soient pas minutieusement préparées, « sur validées » et garanties au maximum pour tenter d’échapper à toute mise en cause et à tout engagement d’une responsabilité personnelle, trait bien propre à l’islam.

  • Il convient par ailleurs de signaler que tous les métiers n’ont pas la même valeur dans la perception musulmane.

Ainsi, l’agriculture est méprisée car, selon Mahomet, « un soc de charrue ne saurait entrer dans la maison des fidèles sans qu’y entre en même temps l’avilissement », propos rapporté dans le Hadîth (recueil des paroles « prophétiques »).

Cette position semble avoir marqué durablement les mentalités, à en juger par cet exemple observé au Liban : pendant la guerre, tous les vergers de la localité chrétienne d’El-Qaa, dans la plaine fertile de la Bekaa, ont été détruits après le massacre général de ses habitants par des bédouins armés.

L’état nomade, plus noble et plus enrichissant grâce aux troupeaux, est jugé préférable, ainsi d’ailleurs que le commerce, métier qu’exerçait Mahomet à La Mecque avant de se proclamer envoyé de Dieu.

  • L’islam accorde une grande importance aux gains temporels (argent, femmes, victoires militaires et politiques, jouissances au Paradis, etc.). Ceux-ci sont considérés par l’Oumma (la communauté des musulmans) comme autant de signes de la supériorité que Dieu lui a conférée (cf. Coran 3, 110).

Cette conception exclut toute gratuité :

le travail n’est pas un service qui grandit celui qui sert, à la manière dont Jésus-Christ l’enseigne (cf. Lc 22, 24-27) et dont l’Eglise s’efforce de le vivre, mais un moyen destiné à assurer le triomphe de l’islam.

  • On comprend alors pourquoi le métier, la profession ou le devoir d’état ne sont pas perçus comme des lieux ou des voies de sanctification impliquant les notions de sacrifice, de renoncement, d’offrande et de joie spirituelle.

De tout ce qui précède, il ne faut évidemment pas tirer un portrait stéréotypé du musulman.

Nous connaissons tous des êtres professant l’islam qui se comportent avec humilité et désintéressement dans la vie sociale et professionnelle.

Là, cependant, les préceptes liés au culte priment sur tout autre impératif, car l’islam est une Loi divine qui s’impose à l’homme en toutes circonstances.

D’où les demandes formulées dans l’entreprise :

  • interruption du travail pour accomplir les prières rituelles, si possible dans des salles réservées à cet usage ;
  • absentéisme pendant le Ramadan afin de mieux respecter les exigences d’un jeûne qui, par sa rigueur, diminue l’aptitude à l’effort et donc la rentabilité au travail ;
  • nourriture halal dans les cantines ou cafétérias ;
  • port du voile islamique par les femmes ;
  • refus de la mixité entre adultes dans les bureaux, sur les chantiers, etc.

Sachant l’importance que les musulmans accordent aux rapports de forces dans les relations humaines, les dirigeants d’entreprises doivent manifester une totale fermeté lorsqu’il s’agit de faire prévaloir l’intérêt général sur les besoins particuliers.

Ainsi, pour les prières rituelles, il est admis qu’en cas d’impossibilité de les accomplir aux heures prescrites, on peut les regrouper après le temps de travail.

Si le musulman concerné sent qu’il a affaire à une autorité véritable, assortie de justice et de respect envers les personnes, il se soumet à la loi générale et se montre docile dans l’accomplissement de sa tâche.

Les concessions dans ces domaines ne peuvent qu’enclencher des cycles d’incessantes revendications entraînant un processus d’islamisation qui s’impose à tous, musulmans et non musulmans, avec tous les risques de conflits qui peuvent en résulter.

 

Annie Laurent

Article paru dans Permanence (revue du mouvement ICHTUS), juillet-août 2012