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 ENTRETIEN AVEC MGR BERNARD GINOUX, EVEQUE DE MONTAUBAN

En France, des mosquées se construisent tandis que des églises sont vendues ou détruites. En tant qu’évêque, comment vivez-vous cette situation inédite ?

Il est, pour le catholique que je suis, normal de reconnaître la liberté de culte et donc de sa pratique. La société a le devoir de donner à chaque religion les moyens de son exercice. Il y a cependant l’Histoire et les siècles qui ont fait la France, de sorte que la présence nombreuse de fidèles musulmans vient bousculer nos habitudes. Le paysage français pourrait changer au cours de ce siècle et le clocher ne plus être le symbole qu’en 1981 M. Mitterrand prenait lors de sa campagne électorale. Il dépendra de nos gouvernants et de nous tous de veiller à respecter l’enjeu : nous sommes appelés au dialogue mais pas à la soumission !

La laïcité à la française

vous semble-t-elle un moyen adapté et efficace pour répondre au défi de l’islam et faciliter l’intégration des musulmans ?

Le concept de « laïcité », contrairement à ce que l’on véhicule dans l’opinion, est purement chrétien. Il a son origine dans le précepte de Jésus, « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21). La laïcité bien comprise n’implique pas l’absence de la religion mais son autonomie par rapport à l’Etat et réciproquement. L’établissement de l’islam dans une France façonnée par la loi de 1905 dérange les certitudes de la République et sa volonté de limiter la religion à la sphère privée. Parce qu’il est politique, l’islam ne peut pas ne pas se vivre publiquement : il façonne la société, pour lui tout est religieux. Le malentendu est donc permanent avec une société qui se veut « sans Dieu » et qui est en même temps, dans sa culture, héritière du christianisme. Le modus vivendi de la République française avec le catholicisme ne peut s’appliquer à l’islam parce que celui-ci est trop loin de sa propre conception. J’ai souvent constaté que, chez nous, l’Administration pense les religions à partir du schéma catholique, ce qui est évidemment inadapté à l’islam.

Il me semble donc nécessaire de revoir à nouveaux frais les points de difficultés entre l’islam et l’Etat français. La vie commune suppose un traitement identique de tous les citoyens et le respect du pacte social par les musulmans mais aussi la fonction régulatrice du pouvoir politique. L’intégration viendra de la rigueur et de la clarté du politique vis-à-vis des citoyens de religion musulmane. Mais sommes-nous sur ce chemin quand d’une part, nous savons que les mouvements extrémistes refusent toute forme d’intégration et quand d’autre part, nous voyons les pouvoirs publics et le discours officiel gênés devant une religion qu’ils ne maîtrisent pas et dont ils craignent certains de ses membres ?

Quelles sont, selon vous, les conditions d’un dialogue fécond entre l’Eglise et les institutions musulmanes ?

Dans ma mission d’évêque, je rencontre des responsables musulmans. La difficulté est de connaître leur réelle représentativité. Nous sommes confrontés à cette réalité : par sa structure même l’islam permet peu le dialogue institutionnel. Reste le dialogue entre personnes. Ce dialogue, qui est nécessaire, commence par la connaissance mutuelle, qui permet de mieux saisir nos différences et de penser plus justement. Chaque fois que je rencontre un musulman il me parle de Dieu et, ainsi, veut me faire comprendre que nous pouvons avoir un terrain d’entente. Je lui réponds sur la grandeur de Dieu et je le bénis. Mais je sais que nous ne parlons pas le même langage. Le Dieu de l’islam est bien le « Tout-Puissant créateur » mais pas le Dieu d’amour trinitaire que Jésus-Christ, le Fils, révèle au monde. La première condition du dialogue est la vérité. Nous avons à être des chrétiens formés, ancrés dans la foi, allant au-devant des autres, toujours «capables de rendre compte de l’espérance qui est en nous » (I P 3, 15). Le chrétien peut au moins s’appuyer sur l’Evangile comme « Bonne Nouvelle » pour tous les hommes. L’éthique que propose l’Eglise catholique peut aussi résonner dans le cœur du musulman. Mais l’instance représentative de l’islam en France reste une structure limitée au bon vouloir de ses membres.

Il y a, dans la ligne tracée par Benoît XVI, un gros effort de clarification à faire par la raison pour aborder le dialogue interreligieux. Les réactions sensibles, épidermiques, suscitent la violence et les oppositions. Les propos lénifiants et les attitudes naïves ne construisent rien. Nous devons prendre acte de ce qui nous sépare, qui n’est pas seulement de l’ordre de la religion mais aussi de la culture qui découle de celle-ci et qui, avec l’islam, se fait globalisante. Ce que la sécularisation a opéré dans le christianisme n’est pas compris par l’ensemble islamique. Les systèmes occidentaux, libéraux ou socialistes, ont perdu leur crédibilité et représentent, pour beaucoup de musulmans, un monde mauvais dont ils se sentent les victimes.

Il n’est pas question d’être irénique. Aujourd’hui, la croissance et la domination dans le monde de courants islamiques durs, les actes de terrorisme commis en référence au Coran, les ambiguïtés des politiques occidentales… sont autant d’obstacles à une recherche commune en vue du bien de tous, ce qui devrait pourtant être un objectif pour tous. Nul ne doit être inquiété à cause de sa religion mais aucune religion ne doit inquiéter.

 

Propos recueillis par Annie Laurent

article paru dans La Nef, septembre 2012

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3°) La « laïcité à la française » ….

Nous sommes là au cœur du malentendu. La France, depuis un siècle, a voulu rompre avec son lien historique avec le christianisme et, plus particulièrement, le catholicisme.