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Capturé en Syrie

le 24 décembre dernier par l’Etat islamique (EI) qu’il combattait dans le cadre de la coalition anti-djihadiste, le pilote de guerre jordanien Moaz El-Kassasbeh a été brûlé vif à l’intérieur d’une cage de fer. Une vidéo mise en ligne début février a permis au monde entier de voir l’horrible agonie de ce jeune lieutenant de 26 ans, fils d’une tribu sunnite de la province de Karak, à cent km au sud d’Amman, capitale du Royaume hachémite.

Au Proche-Orient,

certaines réactions à cet acte barbare ont fait apparaître une différence notable entre les réponses chrétiennes et musulmanes au défi de la violence religieuse. Le 4 février, toutes les églises de Jordanie ont sonné le glas au moment des prières dans les mosquées, puis des messes pour le repos de l’âme du soldat ont été célébrées dans toutes les paroisses du pays. Mgr Fouad Twal, chef du Patriarcat latin de Jérusalem, dont la juridiction s’étend à la Jordanie, son pays de naissance, s’est associé au deuil national. Pour lui, cette épreuve « rappelle combien le combat contre toute force fondamentaliste est nécessaire et urgent ». Il a invité « tous les hommes de bonne volonté » à s’unir dans ce but en s’appuyant sur « la prière et la saine éducation ».

Du côté musulman,

outre les affirmations habituelles selon lesquelles ce meurtre trahit les valeurs de l’islam, le principal réflexe a consisté à se référer à la loi du talion, l’une des dispositions de la charia. Dans les rues d’Amman, des dizaines de manifestants ont appelé à la vengeance aux cris de « Mort à Daech » (acronyme de l’EI). Quelques heures après, deux prisonniers irakiens, dont une femme, emprisonnés pour terrorisme, ont été pendus.

La réaction la plus significative est venue d’Egypte. Ahmed El-Tayyeb, le grand-imam de l’influente Université El-Azhar, a explicitement demandé l’application d’une punition prévue dans le Coran pour les agresseurs corrompus « qui combattent Dieu et son Prophète : la mort, la crucifixion ou l’amputation de leurs mains ou de leurs pieds » (5, 33). Puis, dans un entretien au quotidien cairote El-Masry el-Yowm, ce dignitaire a estimé qu’un musulman assassin de l’un de ses coreligionnaires « doit être tué tout comme il a tué ».

Ainsi, pour l’Islam, il n’y aurait de réponse valable à la violence que la violence. Le contraste est frappant avec l’attitude constructive, pacificatrice et fraternelle de l’Eglise.
Le 28 décembre dernier, lors d’un discours audacieux prononcé devant les responsables d’El-Azhar, le chef de l’Etat égyptien, Abdelfattah El-Sissi, a évoqué la recrudescence des horreurs commises dans le monde par des musulmans déclarant agir au nom de Dieu. Il a mis en cause la sacralisation des textes et des idées qui a enfermé l’islam dans une idéologie devenue impossible à contester.

Une réforme de fond

est donc indispensable et vitale pour l’Oumma (la communauté des musulmans). La réponse d’El-Tayyeb était donc attendue. Allait-il constituer une commission chargée de préparer cet aggiornamento et le faire approuver par les principaux pôles de décision de l’islam sunnite ?
Ses déclarations, consécutives au meurtre du pilote jordanien, résonnent comme une fin de non-recevoir au souhait pressant du président Sissi. C’est ce qu’a ressenti l’éditorialiste libanais chrétien Issa Goraïeb, qui écrit dans L’Orient-Le Jour du 7 février :

Quel funeste excès de zèle l’a porté à réclamer pour les monstres des châtiments aussi effroyables que la mutilation ou la crucifixion ? Oui, par quelle sinistre logique la barbarie légale serait-elle donc l’antidote à la barbarie djihadiste ? Copie à retravailler ».

Annie Laurent

Article paru dans Famille chrétienne n° 1935 du 14 au 20 février 2015.