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OCCIDENT-PROCHE-ORIENT, SE DONNER LES MOYENS D’AGIR

 

La diplomatie de l’Europe moderne dans les affaires du Proche-Orient pèche par plusieurs défauts : d’une part, l’ignorance du facteur religieux et l’oubli de l’histoire ; d’autre part, une propension à appliquer aux autres cultures des recettes inadaptées, telles que la démocratie laïque. Ce qui conduit à des analyses manichéennes et à une hégémonie européocentriste.

En France, ces tendances sont communes à tous les gouvernements, de droite et de gauche. Il en résulte des options d’apparence vertueuse mais qui sont en réalité souvent défavorables, voire nuisibles, aux chrétiens du Levant que l’on n’est plus capables de comprendre. Ces derniers constituent « l’angle mort dans notre vision du monde », affirmait avec raison le philosophe Régis Debray en présentant le colloque sur l’avenir des chrétiens d’Orient organisé à Paris à son initiative les 16 et 17 novembre 2007.

Néanmoins, la situation particulière des Eglises orientales n’est pas absente du débat public en France. La question de leur survie revient régulièrement sur le devant de la scène, surtout à l’occasion des flambées de violences qui visent leurs fidèles. Alors, c’est comme si la France se souvenait de sa responsabilité historique envers eux.

Ces dernières années

diverses initiatives ont prétendu témoigner de cet intérêt, lequel semble d’ailleurs croître avec l’affirmation de l’Islam, élément qu’il n’est pas inintéressant de souligner. Cette nouveauté contribuera peut-être à guérir la France de son complexe post-colonial, qui nourrit sa complaisance envers l’Islam. Mais, en attendant, la ligne politique demeure inchangée et décevante.

En 2007, au terme du colloque mentionné plus haut, ouvert par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Bernard Kouchner, la création d’un Observatoire des chrétiens d’Orient a été annoncée ; on l’attend toujours. En 2011, alors que débutaient les révoltes arabes, les élus UMP de l’Assemblée nationale ont créé un groupe de réflexion présidé par Françoise Hostalier, député du Nord. Le rapport qui a conclu six mois d’auditions d’experts et d’acteurs est demeuré sans suite. En mars 2012, le sénateur Adrien Gouteyron (Haute-Loire), chargé d’une mission d’enquête par le Premier ministre François Fillon, a émis des propositions réalistes pour soutenir les chrétiens dans leurs pays. A cause du changement de majorité parlementaire, son rapport dort dans un tiroir de l’hôtel Matignon.

A ces initiatives publiques

il faut ajouter les expositions et conférences de l’Oeuvre d’Orient, les « Nuits des témoins » de l’Aide à l’Eglise en détresse, les jumelages, la parution de livres, sans oublier les démarches privées comme cette vingtaine de jeunes chrétiens qui se sont rendus généreusement en Syrie pour Noël, les manifestations de rues, les articles d’opinion publiés dans la presse par de grandes signatures, ainsi que les pétitions. Pétitions à répétition, serait-on tenté de dire avec lassitude en constatant que tout cela ne change en rien l’approche de l’Etat dans ce domaine qui mobilise encore une partie des catholiques. Or, c’est cette approche qui doit changer. Des révisions courageuses sont nécessaires afin de définir une diplomatie juste et efficace qui tienne compte des spécificités du christianisme proche-oriental. Avant tout, une réflexion approfondie s’impose. Elle pourrait s’appuyer sur quelques idées fondamentales.

Lorsque nos élites déclarent qu’il faut « protéger les minorités opprimées au Proche-Orient », s’interrogent-elles sur les raisons objectives qui ont entraîné le déclin numérique des chrétiens (il ne s’agit pas pour eux d’un état de nature, contrairement à d’autres groupes religieux, comme les druzes ou les alaouites, qui ne sont pas prosélytes) alors que jusqu’à la conquête arabo-islamique (à partir du VIIème siècle), ils constituaient la majeure partie des populations locales ? La réponse passe par un regard lucide sur l’histoire de la région tel celui de Bat Ye’or dans son livre Les chrétientés d’Orient, entre djihad et dhimmitude (1) ?

Sans vouloir douter de la sincérité qui inspire ces prises de position compatissantes, la question demeure des moyens envisagés. S’agit-il d’enfermer les chrétiens dans des sortes de réserves séparées (des ghettos confessionnels), sous prétexte de leur sécurité ? Ce serait alors les priver de leur raison d’être sur place. La mission de l’Eglise est au service de tous et non au bénéfice de ses seuls membres. Le vocable « communauté » est d’ailleurs préférable à celui de « minorité », qui est trop dévalorisant et décourage les chrétiens de demeurer chez eux. Or, leur apport est irremplaçable à l’épanouissement de leurs sociétés : créativité, progrès, liberté, y compris en matière de religion, enseignement, usage de la raison, formation de la conscience, respect de la personne, culture de la gratuité et du pardon plutôt que la vengeance, etc. Ce rôle ne repose pas sur la proximité des chrétiens orientaux avec la culture occidentale, mais sur une vocation qui s’enracine dans les valeurs de l’Evangile. Nos dirigeants sécularisés peuvent-ils le comprendre ? Afin de contribuer au développement de leurs pays, les chrétiens doivent y bénéficier de l’égalité avec les musulmans en matière de citoyenneté, de droits et de devoirs. C’est pourquoi, dans leurs relations bilatérales avec les Etats islamiques, les Occidentaux doivent exiger la justice et le respect des libertés, y compris de conscience, pour tous les nationaux de ces pays, même si cela doit conduire à renoncer à des partenariats financiers et militaires, si avantageux soient-ils. Il en va de la crédibilité de l’Occident.

Enfin, ce dernier doit examiner honnêtement sa responsabilité dans le refus d’une part croissante du monde musulman d’accueillir les valeurs de la démocratie laïque. Ne serait-ce pas notamment à cause d’une conception dévoyée de la laïcité, transformée en idéologie qui, en séparant radicalement le politique du religieux et en promouvant le relativisme moral, conduit à un sécularisme absolu ? Comment peut-on prétendre faire accepter des droits de l’homme privés de leur source divine ? Le comble c’est que l’Occident entraîne dans cette dérive mortifère les chrétiens d’Orient, les faisant ainsi passer aux yeux de leurs compatriotes musulmans comme complices d’une culture dangereuse.

Au fond, seule une conversion profonde de l’Occident au Dieu de Jésus-Christ sera capable d’aider les chrétiens d’Orient à accomplir leur vocation.

 

Annie Laurent

Article paru dans L’Homme nouveau n° 1559 du 1er février 2014

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(1) Cerf, 1991.