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Je voudrais aujourd’hui présenter un livre récent publié par les éditions L’Harmattan sous le titre « Géopolitique des chrétiens d’Orient ». Son auteur, Antoine Fleyfel, Français d’origine libanaise, enseigne à l’Université catholique de Lille.

Dans la masse des nombreux ouvrages consacrés ces temps-ci aux chrétiens d’Orient, on peut se demander ce que celui-ci apporte de nouveau. Son propos est d’analyser la place et le rôle des chrétiens dans l’Orient arabe (Liban, Jordanie, Irak, Terre sainte, Egypte et Syrie), zone à laquelle l’auteur a choisi de se limiter.

Cela exclut donc la Turquie et l’Iran, pays qu’on classe habituellement dans l’ensemble territorial désigné par « Proche-Orient ».

Ce choix a le mérite de préserver une unité culturelle fondée sur le concept d’arabité. Aujourd’hui, cette identité, qui s’est imposée par la conquête arabo-musulmane à partir du VIIème siècle, ne pose pratiquement plus de problème aux chrétiens de la région ; certains la revendiquent même avec fierté.

Pourtant, les seuls qui soient vraiment de souche arabe sont ceux de Jordanie et une partie de ceux de Palestine, car ces deux territoires constituaient jadis le nord de l’Arabie. Les autres chrétiens du Proche-Orient ne sont pas tous de souche arabe.

Ainsi, en Irak, les assyro- chaldéens se réfèrent à l’ancien peuple assyrien qui composait autrefois la Mésopotamie ; en Egypte, les coptes tiennent à leurs racines qui remontent à l’époque des Pharaons ; au Liban, les maronites aiment parfois se rattacher aux Phéniciens qui peuplaient encore le littoral méditerranéen au temps de Jésus. L’Evangile nous rapporte que le Christ en a rencontrés à Tyr et à Sidon.

Quant aux chrétiens de Syrie, bien que n’étant pas, eux non plus, à strictement parler de souche arabe, ils n’ont aucun problème avec cette identité. Cela provient du fait que l’idéologie du nationalisme arabe est née à Damas au début du XXème siècle ; elle a été conçue et portée par des chrétiens.

Il s’agissait pour eux de promouvoir un système social et politique fondé sur l’arabité et non plus sur l’islam, donc sur un critère ethnique ou culturel et non religieux. Pour des communautés devenues minoritaires, cette option avait l’avantage de transcender les clivages confessionnels et devait, en principe, ouvrir la voie à l’égalité entre tous les citoyens. Le régime actuel qui gouverne la Syrie est d’ailleurs l’héritier de cette idéologie.

Quel que soit le regard que l’on porte sur l’autoritarisme du président Bachar El-Assad, il faut reconnaître qu’il a su organiser des relations apaisées entre les communautés religieuses de son pays. Cela permet de comprendre la position inconfortable des chrétiens dans le contexte de crise actuel qui leur fait redouter un changement de régime. Antoine Fleyfel explique très bien leur situation, avec toutes les nuances qui s’imposent.

Il reste cependant au Proche-Orient des chrétiens qui ont résisté à l’arabisation. Tel est surtout le cas des Arméniens qui, tout en parlant l’arabe, ont conservé leur langue et leur culture propres.

L’auteur donne au Liban la première place. Et c’est normal, compte tenu du statut d’exception dont jouissent ses citoyens chrétiens, comparé à ceux du voisinage. A propos des crises que connaît le pays du Cèdre depuis 1975, il faut savoir gré à Fleyfel d’expliquer en quoi l’expression « guerre civile », trop souvent retenue en Occident, est erronée. A cause de sa fragilité congénitale, le Liban multiconfessionnel attire toutes sortes d’ingérences et de convoitises étrangères ; il est le réceptacle de tous les antagonismes régionaux, voire internationaux. Déprimés, frustrés, et surtout divisés, les chrétiens ont perdu beaucoup de leur influence politique mais, souligne l’auteur, ils manifestent une vitalité stimulante au niveau ecclésial et culturel.

Antoine Fleyfel montre comment, dans les six pays objet de son étude, l’islamisme triomphant, qui a vaincu l’arabisme laïcisant, pèse sur l’avenir des chrétiens.

Face à un tel défi, il souhaite que les disciples du Christ résistent à la tentation du repli identitaire au profit du combat pour faire triompher les valeurs qui leur sont chères. D’après lui, c’est pour eux le seul moyen de servir la cause de ce monde arabe dont ils ont intérêt à se sentir solidaires.

 

Annie Laurent

Radio-Espérance, 15 janvier 2014.